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comparée à celle de Maurice, on se demande quelles ont pu être les causes de cette infériorité[1]. Il y a des causes physiques que l’on ne saurait nier, et à ce sujet le gouvernement n’a peut-être pas donné à la colonie tous les secours qu’elle mérite : nous voulons parler de la création d’un port, On a choisi récemment Saint-Pierre, et nous n’avons pas à combattre la décision, bien que d’autres points eussent pu, à notre avis, être plus convenables ; mais il a fallu que les habitans de Saint-Pierre eux-mêmes, dans un moment d’élan civique dont nos concitoyens donnent trop peu d’exemples, fissent les frais des premiers travaux. L’état n’a cédé que peu à peu, et il marchande encore à la colonie modèle, à ce pays lointain qui ne reçoit rien de la mère-patrie et qui lui rapporte net plus de 20 millions tous les ans, il marchande les 6 ou 7 millions nécessaires pour l’achèvement d’un port à Saint-Pierre. Les travaux, commencés depuis 1854, vont lentement, s’avancent avec indécision[2]. En attendant, les primes d’assurance ; sur nos navires qui vont à Bourbon sont toujours très élevées, car presque tous partent et arrivent à l’époque des plus mauvais temps ; les frets sont aussi hors de proportion, et la différence entre le prix que réclament les armateurs pour le port de Saint-Denis et Port-Louis, qui se touchent, est souvent de plus de 30 pour 100 !

Cette cause d’infériorité physique admise, c’est-à-dire l’absence d’un port à La Réunion, inconvénient auquel l’achèvement du port de Saint-Pierre remédiera complètement selon les uns, à moitié selon les autres, quelles sont les conditions morales qui règlent l’état d’infériorité de notre colonie vis-à-vis la colonie anglaise ? Un argument toujours opposé dans ce cas aux Français, argument juste, il faut le reconnaître, ne saurait cependant être accepté en cette circonstance : nous entendons la différence si grande entre nos aptitudes et celles des Anglais en matière de commerce et de colonisation. Dans le cas présent, l’argument n’a aucune valeur. À Maurice comme à La Réunion, les gens qui s’occupent d’affaires sont presque tous de race française ; tout au plus quelques Anglais sont-ils établis à Port-Louis et dans les plantations. Malheureusement les conditions du problème changent, si, au lieu d’examiner les aptitudes, nous étudions la politique coloniale des deux métropoles. C’est là que gît la seule cause de notre infériorité vis-à-vis des Anglais ; c’est

  1. Le mouvement commercial de La Réunion en 1857 a été lie suivant : 412 navires, jaugeant 136,000 tonneaux. Un dixième seulement des navires appartient à la marine étrangère. On voit que de tous côtés notre infériorité est navrante ; mais aussi nous la devions, depuis Colbert, au pacte colonial que nous venons enfin de déchirer.
  2. Nous les avons vus au mois de mai 1861, et nous affirmons que rien d’important n’est fait.