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saluait poliment tout le monde, ouvrait les vitrines à qui n’osait pas tourner la clé soi-même, présentait les objets demandés et se bornait à en indiquer le prix. Pas d’éloges sur la qualité de la marchandise, pas de mensonges surtout, et j’ai entendu moi-même l’honnête Parsis avouer à un acheteur hésitant sur un très beau coffret sculpté qu’en effet la serrure n’était pas de première qualité, et qu’elle était, comme la boîte, de fabrication chinoise. Au reste il n’y a pas à marchander avec les Parsis, et le premier prix qu’ils indiquent est celui auquel ils se tiennent : on perd son temps à-demander un rabais.

Le bazar de Cowasjee, comme celui de trois autres marchands ses compatriotes et ses voisins, regorge de curiosités. Il donne aux voyageurs qui viennent d’Europe un avant-goût des merveilles de l’Inde, et permet à ceux qui s’en retournent de compléter leurs achats en cas de quelque oubli. Les boîtes et les coffrets de sandal naïvement fouillés, les laques chinoises et japonaises, les éventails en papier de riz, les crêpes et les écharpes de soie, les foulards légers et les mousselines transparentes, les petites statuettes portant le vêtement national et représentant les différentes castes de l’Inde, enfin une foule de bibelots de tout genre s’y trouvent heureusement réunis. Les succursales des Parsis à Steamer-Point n’ont rien à envier à leurs grandes maisons de Bombay. Il faut dire aussi, à l’éloge de ces braves marchands, que sur la terre arabique ils vivent tous entre eux dans la meilleure intelligence, comme il convient à des compatriotes et à des coreligionnaires. Aucun ne cherche à dénigrer son concurrent, quoique tous les bazars de Steamer-Point se trouvent pour ainsi dire réunis sous la même varangue. Tous ces Parsis sont du reste gens de très bonne compagnie ; ils ont reçu la meilleure éducation, parlent et écrivent couramment plusieurs langues, et entretiennent des relations suivies, non-seulement avec l’Inde, mais encore avec l’Europe.

En sortant du bazar de Cowasjee, je retrouvai à la porte les marchands juifs que j’y avais laissés. Ils continuèrent à m’accabler de sollicitations, et ne furent guère plus heureux qu’à notre première rencontre ; mais comme Moutto Carpain m’avait prévenu que la plupart joignaient à la profession de marchands ambulans celle d’entrepreneurs de voitures, je traitai avec l’un d’eux pour aller le lendemain de très bonne heure visiter la ville d’Aden.

À l’heure dite, un véhicule aussi misérable que les chevaux et leur conducteur m’attendait au rivage. Malgré l’avis d’un concurrent qui crut devoir me prévenir que les bêtes n’arriveraient jamais, je montai en voiture. Pour reconnaître cette marque de confiance, un autre Juif, quelque peu parent du conducteur, s’élança