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graduelle dans le golfe d’Arabie et le long de la côte orientale d’Afrique. D’Aden on peut même rayonner jusque dans le Golfe-Persique, et jamais poste plus favorable n’a été occupé par une nation maritime. L’isthme de Suez peut être percé, mais on ne franchira point le détroit de Bab-el-Mandeb sans la permission de l’Angleterre.

Pour pallier ces empiétemens successifs, ces occupations souvent violentes, l’Angleterre met toujours en avant les plus louables motifs. À Aden, c’est une représaille exercée contre des pirates, c’est une conquête que justifient les lois de la guerre : on ne dit pas qu’on élève une imprenable forteresse commandant les mers arabiques. Les îles Moussah, dans la baie de Tajoura, sont achetées par les Anglais vers l’époque de la guerre d’Orient, sans doute pour mettre leur nouvelle conquête à l’abri d’une attaque ; mais de Moussah on a un pied sur la côte abyssinienne. Le groupe des îles Kouria-Mouriah est acquis de l’iman de Mascate pour exploiter le guano répandu sur cet archipel, et pour faire de la principale de ces îles le point d’attache du câble télégraphique qui doit unir l’Inde à l’Europe ; mais cet archipel peut au besoin abriter une flotte, et c’est en même temps une nouvelle étape vers Mascate et le Golfe-Persique. Périm est occupé pour y établir un phare dont la lumière guide la navigation des vapeurs anglais qui sillonnent la Mer-Rouge ; mais Périm est aussi la clé du Golfe-Arabique, et la possession de Périm rend nul, s’il plaît aux Anglais, le percement de l’isthme de Suez, l’union des deux mers devient une fiction. L’île de Camaran est achetée, dit-on, d’un cheikh arabe en vue d’utiliser l’heureux mouillage qu’elle présente, d’ailleurs cette île était inhabitée : mais elle commande le port d’Hodeïda, dont le commerce a remplacé celui de Moka, et si la concurrence qu’Hodeïda fait à Aden devenait trop sérieuse, les forts de Camaran pourraient ruiner la ville qu’ils semblent protéger. Là ne s’arrêtent pas les empiétemens de l’Angleterre, et l’archipel de Dahlac vient d’être occupé par elle. Sous prétexte d’y élever un phare, toujours pour guider ses nombreux vapeurs, la Grande-Bretagne plante aujourd’hui son pavillon à Dahlac. Ici l’on ne peut pas dire que ce point est inhabité et appartient au premier occupant, car de nombreux pêcheurs y sont de tout temps établis. Le but réel des Anglais, en s’installant sur ce groupe d’îles, est, nous l’avons vu, de surveiller le port d’Arkiko, l’ancienne Adoulis, que la France a acquis de l’Abyssinie à la suite du voyage d’exploration du capitaine Russel dans la Mer-Rouge. Arkiko convient parfaitement comme port de ravitaillement et d’entrepôt pour la ligne française des Indes que le gouvernement vient de concéder ; mais les Anglais, prenant