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pied à Dahlac, nous surveillent, occupent une situation meilleure, et au besoin empocheront nos établissemens de se former.

L’Angleterre, du reste, n’est-elle pas déjà maîtresse de tout le transit de la mer des Indes ? Seule la puissante Compagnie péninsulaire et orientale possède une flotte formidable de cinquante-deux bateaux à vapeur, à roues ou à hélices, d’une capacité totale de 72,000 tonneaux et d’une force de près de 18,000 chevaux. Comment la France, qui s’y est prise si tard, puisque les bateaux de la Compagnie de navigation à vapeur de l’Indo-Chine n’ont pas encore quitté les chantiers, pourra-t-elle lutter avec avantage contre de si terribles concurrens ? Nous n’avons d’ailleurs, hormis Arkiko, aucune position, aucun port de ravitaillement ou de relâche dans les mers arabiques, tandis que les Anglais, non contens de tous les points que déjà ils occupent, ont aussi fondé des comptoirs à Berberah, sur la côte africaine, en face d’Aden, ainsi que dans l’îlot d’Abd-el-Kouri, près de Socotora, et dans la grande île elle-même. Si Djeddah avait pu être occupé après les massacres de 1858, nul doute que les Anglais ne s’y fussent établis en maîtres, car ce port est le plus important de la Mer-Rouge.

Ce n’est pas que je veuille blâmer quand même la politique maritime de la Grande-Bretagne, et que je ne souhaite point voir la France entrer dans une semblable voie. Un des phénomènes sociaux qui caractérisent notre siècle, c’est le progrès de la civilisation, toujours plus rapide et plus actif ; c’est la barbarie traquée dans ses dernières limites, et près de disparaître de la surface du globe pour faire place aux nations éclairées. À ce point de vue, j’accepte les acquisitions continuelles de l’Angleterre dans les mers arabiques, ses empiétemens, ses occupations violentes, comme on voudra les appeler, et j’aime mieux l’étendard de la croix que celui du croissant. Si c’est une loi morale que le bien ne se fasse pas sans un peu de mal, les tentatives de l’Angleterre sont excusables, quand elle vient remplacer par sa dévorante activité l’improductive immobilité des races musulmanes. Néanmoins ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que si le progrès est une des conditions qui règlent le mouvement social de notre époque, la liberté d’action et la fraternelle alliance des peuples civilisés en sont forcément la conséquence, et l’Angleterre ne semble point tenir assez de compte de ces nouvelles conditions. Depuis le commencement de ce siècle, sa politique maritime repose sur un esprit d’égoïsme dont elle n’a donné que trop de preuves. Pour ne pas sortir dès à présent des limites de cette étude, je ne veux examiner que la conduite de l’Angleterre à propos du percement de l’isthme de Suez. Il n’y a pas à revenir sur le fond de cette question, déjà tant de fois débattue, notamment dans différens travaux de la Revue. Que le percement