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encore été envoyée à Rakout, que l’on dit cependant favorable aux idées et à la civilisation de la France. Les Anglais ont déjà gagné dans cette affaire beaucoup plus de terrain que nous, et cependant la grande île est reconnue colonie française depuis le XVIIe siècle. Des édits de Louis XIII et de Louis XIV l’ont successivement réunie à la couronne, et le grand roi et son ministre Colbert l’avaient même décorée du nom heureux de France orientale.

Cette île est riche en productions de toute sorte : la végétation des climats tropicaux et des climats tempérés y réussit également, et les terres y sont d’une fertilité exceptionnelle. Les forêts y sont encore vierges, et offrent de précieuses essences aux constructions maritimes et civiles, notamment le bois de teck, qu’on ne retrouve que dans l’Inde, et qui jouit de l’importante propriété de ne point se pourrir. De riches mines de fer, de plomb, d’argent et de cuivre, dont j’ai vu moi-même de précieux échantillons, n’y attendent que le pic du mineur. Des eaux minérales s’y rencontrent en abondance. Des houillères y ont déjà produit un combustible qui a fait ses preuves, et qui serait du meilleur emploi pour notre marine à vapeur et nos sucreries coloniales de Mayotte, Nossibé, Sainte-Marie et l’île de La Réunion ; les diverses qualités de cette houille sont également bonnes pour la fabrication du gaz. Des filons de cristal de roche, des sables qui roulent des pierres précieuses et peut-être de l’or, des mines de sel, des carrières de granit, de marbre, de pouzzolane, peuvent tenter également le colon. Des baies magnifiques découpent le rivage, et offriraient un sûr abri à notre station navale de l’Afrique orientale, qui ne sait aujourd’hui où se réfugier, l’île Bourbon n’ayant pas même un port. Enfin le climat est des plus favorables, à part quelques points du littoral où règnent des fièvres endémiques, qui disparaîtraient facilement par un bon aménagement des eaux. J’ajouterai que Madagascar est un pays aussi vaste que la France, et que la plupart des tribus qui l’habitent sont à demi civilisées. Tous les indigènes, hormis la tribu guerrière des Hovas, qui étend sur l’île sa domination abhorrée, accueilleraient les Français avec des cris de joie. Déjà les Saklaves et les Bétanimènes ont appris à connaître les blancs de. la grande terre, comme ils nous ont gracieusement appelés ; mais les blancs de la grande terre ne font rien, et les Anglais sont aujourd’hui presque maîtres à Madagascar.

Si les Anglais parviennent à capter la confiance de Rakout, comme ils ont capté jadis celle de Radam Ier, époux et prédécesseur de Ranavalo, c’en est fait de notre influence dans la grande île. De nouveau ils armeront les Hovas contre nous, comme ils l’ont fait secrètement au temps de Radam, et peut-être, dans une descente mal combinée, serons-nous encore repoussés par les indigènes.