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voie de construction, composé avec toute sorte de débris humains, et gardé par de petites morts dont chacune porte un cœur fumant fiché au bout d’une pique. La Mort tient ses assises dans ce palais et examine les candidats qui peuvent aspirer à la cour de l’un ou de l’autre des deux souverains qui se partagent le monde invisible. Cette vision, où l’auteur remue la boue sépulcrale et toutes les ordures du trépas avec une religieuse gravité, se termine, comme les deux autres, par une pièce de vers où il exprime avec une grande force l’importante vérité de ce lieu commun, toujours si vieux et si nouveau : la nécessité de bien vivre et de bien mourir.

La Vision de l’Enfer contient une idée très neuve, très hardie et très profonde, dont un homme de génie aurait tiré un parti admirable, mais qui n’a donné chez Elis Wyn que des résultats à demi satisfaisans. L’enfer du ministre gallois est, à proprement parler, la cour du roi Pétaud. Lucifer n’y est pas le souverain despotique que vous croyez, et il a une peine infinie à faire régner l’ordre dans le vaste empire qu’il gouverne. À chaque instant, des conspirations s’organisent contre son pouvoir, et des courriers couverts d’une poussière de suie et d’une sueur infernale viennent annoncer au vieux roi qu’une sédition a éclaté dans telle ou telle province de l’empire. Elis Wyn vit deux de ces révoltes pendant le temps de son séjour, lesquelles étaient d’une force respectable et pouvaient aisément compter pour dix : une révolte religieuse et une révolte sociale. Les fidèles de toutes les églises qui ne sont pas l’église anglicane en étaient venus aux mains pour savoir laquelle de leurs religions avait donné le plus d’adhérens à l’enfer ; les papistes, les têtes-rondes et les musulmans se disputent à main armée ce triste honneur et renouvellent dans l’enfer les scènes de violence et de fanatisme dont ils ont donné le spectacle sur terre. Elis Wyn décrit cette lutte avec la joie triomphante d’un bon anglican qui ne sait lequel de ses adversaires il aime mieux voir écraser. À peine cette révolte est-elle apaisée qu’une guerre sociale fomentée par certains damnés artificieux du nom de Coxcomb, de Contriver et de Pettifogger s’élève entre les damnés de toute condition. Les pères avares s’arment contre les fils prodigues, les usuriers contre les gens de loi, les soldats contre les médecins, les femmes de mauvaise vie contre leurs séducteurs. L’empire est cette fois réellement en danger. Lucifer assemble ses troupes en toute hâte et s’avance à marches forcées contre les rebelles. Et pendant tout ce temps il lui faut encore s’occuper des affaires courantes de ses états, convoquer ses conseils, édicter ses jugemens. Jamais souverain n’a eu vie plus laborieuse. — L’idée, je le répète, est neuve, hardie et profonde, et elle se présente si naturellement à la pensée que je m’étonne qu’aucun