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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février 1862.

L’ouverture du parlement anglais a suivi de près les débuts de notre session. L’attitude des chefs de partis et des ministres dans les deux chambres a été en cette circonstance trop caractéristique pour ne pas mériter d’être prise en considération hors de l’Angleterre par tous ceux qui suivent avec intérêt le spectacle de la vie parlementaire britannique. C’était la première fois que les chambres se réunissaient depuis le grand malheur qui a frappé la reine Victoria ; c’était par conséquent la première occasion qui s’offrît au parlement de s’associer à la douleur de la souveraine. Les chambres anglaises ont rempli ce devoir avec une délicatesse remarquable. Dans les témoignages de sympathie prodigués par les représentans de la nation à l’illustre et honnête dame qui occupe le trône d’Angleterre, rien qui sentît la pompe et le creux des adulations officielles. C’est le bonheur de l’Angleterre d’apporter dans toutes ses manifestations politiques cette familiarité simple qui est la marque de la sincérité, dignité véritable que la liberté seule enseigne aux peuples. Les Anglais ont un autre bonheur : ce qui entre de cérémonial forcé dans les manifestations politiques a gardé chez eux un caractère romantique. Pour eux, l’artificiel gothique d’aujourd’hui n’est encore que le naturel d’autrefois, un fragment de vie antique conservé par la tradition et qui vient se fondre avec harmonie dans la vie présente. Chez nous, où la chaîne des temps a été brisée, chez nous, devenus de purs rationalistes en politique, le cérémonial a nécessairement un air de convention, quelque chose de guindé, de rigide et de faux qui est insupportable au bon goût et à la fierté d’âme. Une œuvre d’art rend parfaitement cette froideur à la fois choquante et plaisante dont nous ne savons nous défaire dans les cérémonies de la vie publique : c’est le tableau de David qui représente l’inauguration du premier empire et l’enthousiasme à bras tendu de tant de grands fonctionnaires en costume de Jean de Paris.

Je ne sais à quoi cela tient, si c’est que nous ne sommes pas un peuple monarchique, ou que nous ne sommes pas un peuple libéral ; mais je crois que nous ne saurons jamais parler de la douleur privée d’une reine, devenue un chagrin national, comme viennent de le faire à Westminster