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noble lord que, selon lui, l’action de la couronne sur le gouvernement devait se borner au choix du premier ministre ; ce choix fait, la couronne devait seconder de toute son influence le premier ministre et le cabinet formé par lui, tant qu’ils conservaient la confiance du parlement et de la nation. Le comte Russell est trop bon whig, et whig de l’école historique, pour avoir perdu le souvenir d’une déclaration si importante, et il vient de la joindre publiquement à cet ensemble de principes proclamés et surtout de précédens pratiques qui compose la constitution anglaise. L’illustre chef des whigs a eu raison au surplus d’attribuer à l’application que la reine Victoria a faite constamment de cette opinion du prince Albert le grand apaisement qui s’est accompli depuis vingt ans dans les luttes politiques intérieures de l’Angleterre. L’influence indiscrète et dangereuse de la couronne n’ayant plus été en jeu, l’élément le plus amer et le plus vif a été enlevé aux combats des partis. Cette expérience anglaise sera-t-elle perdue pour le reste du monde ? Ne comprendra-t-on jamais sur notre continent, où tant de conservateurs à courte vue parlent si étourdiment de la nécessité d’établir le respect du pouvoir et emploient pour cela de si mauvais moyens, qu’au point où la civilisation moderne est arrivée, le pouvoir n’a de légitimité et n’a droit au respect qu’à la condition de demeurer toujours ouvert au plus digne, et par conséquent à la condition que l’accès n’en soit jamais fermé par des obstacles artificiels et arbitraires ?

Partisans du naturel en politique, nous ne nous étonnons point que les partis en Angleterre tiennent compte dans leurs combinaisons du deuil qui afflige la reine. Nous ne trouvons rien de ridicule à cette intervention d’un sentiment élevé et vrai dans la conduite des intérêts publics. Que les partis, comme lord Derby l’a donné à entendre, s’abstiennent d’apporter une distraction importune à une royale douleur, que les ambitions fassent trêve et renoncent à provoquer des crises ministérielles, rien de mieux. L’observation de cette haute convenance ne met aucun grand intérêt en danger. Le salut de l’état n’exige point que lord Derby succède à lord Palmerston, que les tories, dont le nombre s’est notablement accru depuis quelque temps, passent des bancs de l’opposition aux bancs de la trésorerie. L’état des finances anglaises ne demande à M. Gladstone aucune conception réformatrice et aventureuse. Les bills de réforme sans cesse présentés depuis quinze ans aboutissant constamment à des échecs, on ne voit pas pourquoi la question serait agitée inutilement une fois de plus cette année. M. Gladstone ne défiera point l’opposition par ses mesures financières ; M. Locke King ne ressuscitera pas son éternel projet pour abaisser la franchise électorale dans les comtés ; M. Baines ne proposera pas son système de réforme parlementaire. Le plus grand calme s’annonce donc cette année dans la politique intérieure de l’Angleterre, et l’on arrivera sans secousse à la grande exposition universelle. Nous voyons aussi dans ces bonnes résolutions une garantie pour la paix extérieure. Certes il serait plus désolant encore pour la reine d’être troublée par un conflit avec l’Amérique que d’être embarrassée