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nous le répétons, la victoire de l’abolitionisme, c’était une limite posée aux progrès de l’esclavage dans les parties encore inexploitées du territoire américain ; mais poser une telle limite, les meneurs sécessionistes l’ont compris, c’est porter contre l’esclavage un arrêt de mort. C’est pour la culture du coton que l’on veut qu’il y ait des esclaves ; mais cette culture épuise promptement les sols les plus riches. Rien de désolé comme certains districts de la Caroline et de la Géorgie, dont l’ancienne fécondité a été tarie par cette culture. Dans l’Alabama, plus récemment colonisé, les mêmes symptômes de décadence se manifestent. C’est donc pour le coton une question de vie ou de mort que d’avoir la perspective de champs toujours nouveaux où l’on pourra mettre à profit l’instrument esclave.

Les chefs du parti républicain et M. Lincoln parlent peu, il est vrai, de l’esclavage ; ils évitent de signaler les conséquences inévitables de leur politique. On leur fait un reproche de leur silence et de leur réserve, on s’en sert comme d’un prétexte pour leur enlever les sympathies des partisans de l’émancipation dans l’Europe civilisée ; mais est-il équitable de ne pas tenir compte des motifs de cette réserve ? Au milieu d’une perturbation si grande, l’humanité aussi bien que la politique ne leur prescrivent-elles pas de ménager le plus longtemps possible toutes les chances de compromis, tous les moyens possibles de réconciliation ? Depuis quand fait-on un crime à un gouvernement d’être prudent et modéré, à des hommes politiques chargés d’une telle responsabilité de ne point aller du premier bond aux extrêmes et de ne pas déchaîner d’emblée tous les périls à la fois ? La révolte des états du sud ne montre-t-elle pas suffisamment la portée véritable de la politique des républicains du nord ? Oserait-on soutenir moralement les états du sud uniquement parce qu’ils sont insurgés ? Mais ni dans le fond ni dans la forme, leur rébellion ne peut se justifier. Ce n’est pas le mot de rébellion qui effarouche M. Mill. Cet honnête esprit déclare qu’il a donné ses sympathies à plus d’une rébellion heureuse ou malheureuse. C’est la justice du but poursuivi qui est la sanction morale d’une révolte. Ici le but est inique et monstrueux. Il ne s’agit pas seulement de perpétuer l’esclavage, mais d’en faire une institution sociale de droit divin, de le propager par tous les moyens au-delà de ses limites présentes. M. Mill ne veut pas entrer dans l’examen des barbaries au prix desquelles on maintient l’esclavage. Un seul fait lui suffit. « Il y a certes, dit-il, en abondance de vicieuses et tyranniques institutions sur la terre ; mais cette institution est aujourd’hui la seule dont le maintien exige que des êtres humains soient brûlés vivans. Le calme et impartial M. Olmsted affirme que depuis longtemps il ne se passe pas d’année où cette horreur ne s’accomplisse dans une partie ou l’autre du sud. Ce n’est pas seulement sur les nègres : la Revue d’Edimbourg, dans une récente livraison, a donné les hideux détails de l’exécution par le feu, par application de la loi de Lynch, d’un malheureux homme du nord qui avait favorisé l’évasion d’un esclave. » La forme dans laquelle la sécession a été opérée ne présente pas plus de garanties morales que l’objet qu’elle a en