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vue. Cet acte a été exécuté par des meneurs qui se sont emparés de la dictature et ont entraîné souvent les populations par la terreur. Les populations n’ont pas été loyalement consultées. Dans quelques états, la sécession n’a été votée qu’à de faibles majorités ; dans quelques autres, les autorités n’ont pas osé publier le nombre des votans. Il va sans dire que les esclaves n’ont pas été admis dans l’expression de cette volonté collective que l’on a fait prononcer en faveur de la séparation, et cependant les esclaves avaient assurément quelque intérêt dans cette résolution, et il n’était pas indifférent pour eux que l’union fût conservée ou rompue. Les états à esclaves sont traversés, depuis la frontière du nord jusqu’aux environs du golfe du Mexique, par la chaîne des Alleghany, qui occupe une partie de la Virginie, de la Caroline du nord, du Tennessee, de la Géorgie et de l’Alabama. Cette région montagneuse n’est et ne pourra jamais être exploitée que par le travail libre. L’Union y compte des partisans ardens. L’Union pouvait-elle les abandonner, sans tenter même un seul effort en leur faveur, à la dictature oligarchique des propriétaires d’esclaves ? Pouvait-elle abandonner aussi ces braves Allemands du Texas occidental qui ont eu le mérite de tenter aux bords du golfe du Mexique la culture du coton par le travail libre ?

M. Mill justifie donc avec une abondance et une vigueur remarquables d’argumens la guerre soutenue par le gouvernement de M. Lincoln pour la conservation de l’union américaine. Il répond avec une égale force à ceux qui prétendent que le nord ne pourra pas faire la conquête du sud, et que, ne devant pas réussir, il eut mieux valu pour lui reconnaître le sud tout de suite, et à ceux qui soutiennent que, même victorieux, le nord ne pourra parvenir à gouverner le sud. Dans tous les cas, M. Mill professe qu’il y a des causes qui tiennent à l’honneur, et pour lesquelles les peuples, comme les individus, doivent se battre sans considérer les chances de succès ou de revers ; il veut enfin, pour l’honneur de l’Europe elle-même, que l’opinion éclairée de notre hémisphère refuse, dans cette lutte funeste, tout encouragement aux esclavagistes du sud, et réserve aux états du nord l’appui moral de ses sympathies. L’expédition actuelle du Mexique lui fournit l’occasion d’un rapprochement qui doit donner à réfléchir à l’Angleterre. Quelles pourraient être, se demande-t-il, dans l’hypothèse où la confédération esclavagiste s’établirait comme un état indépendant, quelles pourraient être les relations de l’Europe avec cette nouvelle puissance, dont les meneurs ont professé constamment, en matière de politique étrangère, les principes d’Attila et de Gengis-Khan ? Faudra-t-il leur laisser réaliser ces projets d’annexion qui avaient, lorsqu’ils étaient au pouvoir, donné un caractère de flibuste à la politique des États-Unis ? Faudra-t-il leur laisser attaquer un jour le Mexique, le lendemain Cuba, un autre jour Haïti ? Partisans de la traite, qu’ils ont soutenue jusqu’à présent par une connivence transparente, faudra-t-il avoir avec eux d’éternels sujets de querelles à propos du droit de visite ? L’Angleterre, de concert avec la France et l’Espagne, fait la guerre au Mexique pour obtenir réparation des spoliations