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en croire ce qu’on entend dire, le contraire serait arrivé. Sans faire écho aux plaintes des censeurs du présent, on ne peut méconnaître dans l’état religieux du temps un grand vide : il y manque la piété. Sous de nouveaux dehors, l’impulsion du temps vers tout ce qui est terrestre, positif, matériel, ne s’est pas arrêtée, et la croyance, d’ailleurs sincère, de plus d’un néophyte que l’incrédulité effraie s’élève sur la base inébranlable de l’indifférence du cœur et de la conscience.

Cependant l’erreur qui ne fait de la religion qu’une opinion à un bon côté. Les opinions, après tout, sont des idées, des idées irréfléchies, superficielles, passagères si l’on veut, mais enfin des idées. Or les idées courantes ne peuvent tomber dans certains esprits sans y provoquer la réflexion. On ne peut guère s’empêcher de penser à ce que tout le monde pense, et pour peu qu’on soit sérieux, attentif, difficile, on veut savoir ce qu’il en est ; l’on examine alors ce que d’autres embrassent sans examen. Ainsi le retour tel quel des esprits vers la religion n’a plus permis de traiter avec une légèreté méprisante soit le penchant intérieur qui nous y ramène, soit l’objet même vers lequel il nous conduit. On a bien été obligé de rechercher ce que le genre humain avait dans l’âme, et à quoi il en voulait venir quand il parlait tant d’aller à Dieu.

Après les esprits forts, qui ne peuvent comprendre qu’on s’occupe de pareilles misères, viennent les beaux esprits, qui n’y voient que la juste revanche du moyen âge retrouvant ses droits comme un souverain légitime en travail de restauration ; mais en dehors de ces ; préjugés parfaitement dignes de se mesurer ensemble, il y a de fermes ou clairvoyans esprits que ne satisfont point les lieux-communs, fussent-ils déguisés en paradoxes, et qui cherchent dans la liberté de leur raison le mot de ce que saint Paul lui-même appelle une énigme, la religion. On a fait plusieurs fois connaître ici les travaux intéressans que ce grand sujet a suscités en Angleterre. La moisson n’aurait pas été moins riche assurément, si l’on avait essayé d’explorer le champ de l’Allemagne. Aujourd’hui c’est en France que nous voudrions signaler une école religieuse dont l’existence date de ces dix dernières années, et qui peut être regardée, sous plusieurs rapports, comme une nouveauté dans notre pays.


I

Il y a onze ou douze ans qu’un des professeurs de l’école de théologie de Genève donna sa démission, et il fit connaître que cette détermination était dictée par un changement qui s’était opéré dans son esprit sur quelques points de la science religieuse. Il avait cessé