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pas de ceux qui les accusent de l’avoir déjà fait. Je repousse ces alternatives absolues si chères aux esprits faibles toujours trop prompts à dire à la raison : Tout ou rien. Quand il y aurait une certaine contradiction entre la foi qui embrasse avec abandon tout l’ensemble moral de l’Évangile et la science qui en scrute les origines, les fondemens, le texte et le sens, les contradictions ne m’étonnent pas. Non-seulement elles se concilient chez les hommes avec la sincérité, avec l’honnêteté parfaites, mais elles sont trop souvent le refuge de la raison. Elles sauvent quelquefois le repos, la moralité, la dignité de l’espèce humaine. Cependant il faut bien convenir que, dans l’ordre philosophique, les contradictions sont de nulle valeur, ou plutôt elles n’ont qu’une valeur destructive. Assurément les honorables écrivains à qui je m’adresse ne vont pas se perdre dans les excès du symbolisme hégélien : ils s’arrêtent même en-deçà des témérités critiques de l’école théologique de Tubingue, qui, si elle continue, pourrait bien finir par ne laisser à la religion pour titres que des apocryphes ; mais enfin ils savent mieux que moi comment un des maîtres de l’esprit humain, Kant, après avoir détruit toute l’autorité des principes de la raison, prétendit n’avoir touché en rien à la valeur et à la puissance de la conscience morale, ni même de ce qu’elle contient de foi religieuse, parce que c’étaient là des faits intérieurs que nous ne pouvions expliquer ni détruire, comme si nos principes intellectuels n’étaient pas des faits aussi, comme si, du moment qu’on les ruine et que la raison n’est qu’une illusion, la conscience morale ne risquait pas tout autant d’en être une autre, elle surtout, qui est peut-être plus essentiellement humaine que tout le reste. Il me semble que dans le système qui m’occupe on traite à peu près de même la foi et la science. La foi est un état irrésistible du cœur, déterminé par de certains faits historiques. La science est le libre examen de ces faits, examen qui dans ses progrès peut les détruire aussi bien que les consolider. En termes d’école, la foi est purement subjective, et la science est ou du moins veut être l’exacte expression des faits objectifs. Le fait subjectif n’est pas ici un phénomène spontané de l’âme, comme les croyances naturelles que Kant a laissées en dehors de ses critiques ; c’est un état de l’âme produit par des faits objectifs. Or pense-t-on que ces faits objectifs doivent produire leur effet moral, quels qu’ils soient d’ailleurs, faux ou vrais, et que, pour en être touché, il ne soit pas quelque peu besoin d’y croire ? Les faits subsisteront toujours, dites-vous ; ils sont le passé historique, et le passé est indestructible. Sans doute, et je vous accorde que la tentative de faire un mythe de l’avènement de la religion chrétienne a peu de chances de réussir. Encore une fois, je ne nie pas qu’en dépit de toute critique la