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lecture des livres saints ne puisse toujours exercer un certain empire sur l’âme et y exciter ce mouvement de l’amour et de la volonté que vous appelez la foi. N’est-ce rien cependant que de savoir si ce mouvement est déterminé par des faits qui ont ou qui n’ont pas le sens, le caractère, la valeur qu’ils semblent avoir ? Il y a des obscurités à éclaircir, des erreurs à redresser, des symboles à expliquer ; il y a, disons tout, puisque vous le soutenez, un formalisme religieux, une orthodoxie hypothétique à détruire ; presque toute l’interprétation des symboles est à refaire. La critique n’a jamais fini ; elle est perpétuelle, elle avance incessamment. La partie objective de la religion est donc éternellement en question ; ne se peut-il pas faire qu’à force d’être creusée, limée, analysée, elle ne s’évanouisse, et qu’ainsi, dans l’esprit du même individu, la foi devienne l’effet d’une cause qui pour la science n’existe pas ? Quand cette extrémité devrait, comme je le crois, ne pas se réaliser communément, quand les faits en tout cas devraient toujours donner un démenti à ces possibilités logiques, j’ai dit que nous n’étions pas sur le terrain des faits, mais que nous parlions philosophiquement ; or en philosophie, si la religion est toute subjective, elle n’est qu’un phénomène de l’âme ; au fond, elle n’est rien.

Encore une fois, je ne dis pas que cette conclusion soit le fruit de la théologie critique ; mais je dis qu’elle la menace, et qu’il n’y a pas dans les prétentions, je dirai mieux dans les droits de l’école historique, une limite, une restriction, une garantie qui puissent dans l’avenir la préserver d’aucune conséquence extrême. La théologie critique a donc, à mon avis, à remplir une tâche qui à la vérité n’est pas petite ; il faut qu’elle rétablisse un lien solide entre le subjectif et l’objectif. Il faut qu’elle retrouve, soit par l’histoire, soit par tout autre procédé, une substance, un fond du christianisme où de la religion, un minimum, si elle veut, mais enfin quelque chose qui soit à l’abri des atteintes ultérieures de l’investigation interprétative. Il faut que cette piété du cœur, cette foi phénoménale, ce touchant état de l’âme soit autre chose qu’une illusion agréable ou nécessaire, et réponde à un objet réel qui mérite ce qu’il inspire et soit ce qu’il paraît, car je ne vous demande pas ce qu’éprouvent les chrétiens ; je vous demande ce que c’est que le christianisme. En d’autres termes, à toute théologie, orthodoxe ou non, il faut une philosophie religieuse.


CHARLES DE REMUSAT.