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avait asséné. Dans cette journée qui promettait d’être si fructueuse, le Jonas ne put amariner qu’une seule baleine de moyenne grosseur.

— Voilà un premier malheur ! dirent les baleiniers en revenant à bord.

— Dieu veuille qu’il ne soit pas suivi de plusieurs autres ! répliqua un harponneur ; le capitaine l’a échappé belle, c’est à lui que la baleine en voulait.

Après avoir changé de vêtemens, le capitaine Robinson fit distribuer une double ration de rhum à son équipage. Pour ne pas laisser ses hommes sous l’impression de l’accident qui l’avait privé de deux de ses meilleurs marins, il affectait de célébrer comme une victoire complète un mince succès trop chèrement acheté.

— Mes amis, leur dit-il, du courage ! et demain je vous mènerai de nouveau à l’assaut… Les baleines sont là qui nous entourent ; n’ayez pas peur de leurs grimaces, et nous ferons une pêche abondante.

Cette courte allocution ne réchauffa guère le courage des matelots, qui commençaient à perdre confiance. Le capitaine Robinson, déconcerté, lui aussi, de l’échec qu’il venait de subir, descendit dans la cabine, où dona Isabela, tout effrayée du bruit que l’on faisait au-dessus d’elle en hissant les pirogues hors de l’eau, se tenait immobile, la tête dans ses mains.

— Quoi donc, senhora ! dit le capitaine Robinson avec un sourire forcé, vous avez peur, ce bruit vous inquiète ?… Mais vous ignorez donc que nous venons de livrer une bataille rangée aux monstres marins ! Oh ! nous sommes maintenant dans des parages excellens. Encore huit jours, et le Jonas sera chargé en plein. Les baleines sont vaillantes, j’en conviens ; mais le principal, c’est de les trouver. Vous entendez, senhora ; une fois mon navire rempli, rien ne m’empêche plus de retourner sur mes pas ; en faisant voile pour Boston, je touche à Rio-de-Janeiro. Huit jours, je ne vous demande plus que huit jours !… Pour conjurer le froid qui vous fait souffrir, allumez du feu dans ce petit poêle, et vous sentirez renaître autour de vous la douce chaleur des tropiques… Ouvrez ce meuble, vous y trouverez des châles de l’Inde pour envelopper vos pieds… Je voudrais vous faire ici une petite chapelle comme les Chinois en établissent dans leurs maisons pour y rendre un culte assidu à leurs divinités familières… Vous voyez bien que je suis disposé à vous obéir, quoiqu’il m’en coûte plus que vous ne pouvez le comprendre. Huit jours encore, et nous courrons droit sur les îles Falkland pour atteindre sans retard les côtes du Brésil.

— Est-ce vrai au moins, ce que vous dites là ? interrompit brusquement la négresse.

— Foi de gentleman ! répondit le capitaine ; encore huit journées