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deux jours et deux nuits l’avaient mis hors d’état de continuer la pêche de la baleine. Conduit par M. James, le pauvre navire, tout meurtri et faisant beaucoup d’eau, reprit lentement la route du cap Horn. Il dépassa heureusement les îles Malouines, et vint, six semaines après le jour où avait disparu le capitaine Robinson, jeter l’ancre dans la vaste rade de Rio-de-Janeiro

Quelques jours après l’arrivée du Jonas, on lisait dans la gazette de Rio-de-Janeiro les lignes suivantes : « Le Jonas, baleinier américain, vient de mouiller sur notre rade, ramenant à son bord une jeune fille qui appartient à l’une des premières familles de cet empire, dona lsabela de Minhas. Cette jeune personne a été recueillie en mer par le navire baleinier après le naufrage du brick péruvien Nuestra-Señora-del-Pilar, qui s’est perdu aux environs du cap Horn par suite de sa rencontre avec une montagne de glace. Entraîné par un ouragan jusque dans le voisinage du pôle sud, le Jonas a couru les plus grands dangers ; il a fait des avaries considérables, et il lui faudra subir de grandes réparations. Le capitaine ayant péri dans la tempête, ce bâtiment a été conduit ici par le second, M. James Simpson, de Baltimore, jeune homme d’une bonne éducation et d’excellentes manières, qui n’a cessé de prodiguer à l’intéressante jeune fille sauvée par lui après le naufrage les soins les plus empressés. Les matelots du Jonas disent que le capitaine avait perdu la tête par suite du chagrin qu’il éprouvait d’avoir manqué sa pêche en portant trop au sud, et qu’il s’est jeté lui-même à la mer. M. James Simpson a été comblé de présens par le comte de Minhas, qui l’a invité à venir passer dans sa résidence, située à deux lieues de la capitale, tout le temps que son navire restera ici en réparation… »

La Joaquinha, ayant entendu lire ce récit, haussa les épaules. « Le capitaine Robinson, dit-elle, était à demi fou depuis longtemps ; il nous débitait des choses extravagantes au milieu des coups de vent et de la tempête, comme si nous eussions été dans un salon, en terre ferme. Il aimait les baleines avec tant de passion, qu’il les aurait volontiers poursuivies jusque dans les entrailles de la terre. On disait aussi qu’il avait commis une mauvaise action, et qu’un fantôme l’a enlevé par-dessus le bord… C’est possible, mais je sais bien ce qui a achevé de lui tourner la tête : c’est que ma maîtresse, au lieu d’écouter ses belles phrases, lui demandait toujours avec instance de hâter le moment où il lui serait permis de le quitter, lui, son navire et ses baleines. »


TH. PAVIE.