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cependant qu’elle doive toujours le donner à très bon marché, à un taux invariable, comme le prétend l’auteur de l’écrit dont nous avons parlé ? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que la demande du capital fût toujours la même, ou plutôt que la Banque pût régler elle-même la demande de telle façon qu’elle ne dépassât jamais l’offre, car il en est du capital comme de toute autre marchandise : s’il est plus demandé qu’offert, le prix s’en élève. Il faudrait qu’avec les 6 ou 700 millions, mettez même un milliard de ressources disponibles que possède la Banque, elle fût toujours en mesure de dominer les besoins. Pour se rendre compte de ce qu’une telle prétention offre de chimérique, il faut savoir que le capital flottant de la nation, dont le transfert d’une main à l’autre constitue ce qu’on appelle le crédit, et dont l’abondance ou la rareté par rapport aux besoins sert à déterminer le prix, n’est pas moindre de 50 ou 60 milliards, et, si on ne parle que des billets de commerce en circulation de cette masse escomptable qui peut se présenter à la Banque, il n’est pas téméraire de l’évaluer à 10 ou 12 milliards. Or nous demandons ce qu’est le milliard de la Banque à côté d’un pareil chiffre, à côté de pareils besoins. Si les 10 ou 12 milliards de billets de commerce, pour nous en tenir à ces valeurs, entrent dans la circulation et trouvent à se faire escompter, c’est qu’il y a quelque part, en dehors de la Banque, chez les banquiers, dans le public, un capital équivalent pour les absorber. C’est ce capital dont celui de la Banque n’est qu’un faible appoint, qui, par son rapport avec la demande, sert à déterminer le prix auquel on peut le prêter, c’est-à-dire le taux de l’intérêt. S’il est plus abondant que les besoins, le taux de l’intérêt s’abaisse ; il s’élève au contraire si le capital est rare, et la Banque est bien obligée de suivre ces mouvemens, sous peine, si elle maintient le taux de son escompte à un taux supérieur à celui du marché, de ne pas faire d’opérations, car on ira se faire escompter ailleurs, et son capital restera improductif, — sous peine d’autre part d’être débordée dans son capital, si elle le maintient à un taux inférieur, car alors les demandes afflueront de toutes parts, son capital sera vite absorbé, et elle n’aura plus rien pour continuer ses opérations, pour rembourser ses billets au porteur, et pour répondre aux demandes de retrait de ses dépôts qui deviendront d’autant plus nombreuses qu’on saura la Banque embarrassée. Elle sera dans l’alternative également funeste, où de cesser ses opérations et de suspendre ses paiemens, ou de faire décréter le cours forcé. On a beau s’en défendre, le cours forcé est au bout de tout système qui, en fait de banque, prétend réagir contre les conditions générales du marché, contre les rapports de l’offre et de la demande.