Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’approvisionnement. Les journaux des états frontières aussi bien que ceux de la Louisiane, le Richmond Whig aussi bien que le New~Orleans Delta, répètent à l’envi que le devoir et la saine politique conseillent également l’abandon total de la culture du coton. Déjà, pour conjurer la famine, la plupart des propriétaires du sud ont consacré aux céréales la moitié de leurs champs, et récemment les notables de la Géorgie, réunis en convention, ont décidé qu’ils feraient le sacrifice complet des produits qui, en 1860 encore, étaient leur principale richesse. Il est certain que l’attitude nouvelle de l’Angleterre modifiera le langage des journaux et les dispositions des planteurs, car le monopole dévolu aux états à esclaves sur les marchés du coton est un avantage trop considérable pour qu’ils ne tâchent pas de le sauvegarder à tout prix ; mais la nécessité de cultiver les céréales concurremment avec le coton n’en reste pas moins des plus inévitables. Les Antilles et l’Angleterre, auxquelles la confédération du sud serait obligée de demander son approvisionnement de céréales, sont elles-mêmes en grande partie dépendantes de l’Amérique du Nord pour ces denrées, et ne pourraient les revendre qu’avec une considérable augmentation de prix, ruineuse pour les planteurs et fatale à la production du coton.

Ce n’est pas tout : non-seulement les états à esclaves importaient du nord leurs substances alimentaires, ils lui demandaient aussi les objets manufacturés. Eux, si riches en coton, n’en filaient pas même la vingtième partie dans leurs propres usines, et ils faisaient venir presque toutes leurs cotonnades du Massachusetts et de l’Angleterre. Souliers, chapeaux, épingles, clous, savon, tous ces mille objets devenus absolument nécessaires dans l’état actuel de la civilisation, étaient fabriqués par ces Yankees méprisés : les pelles, les pioches, les charrues dont se servent les nègres, leur étaient expédiées de la Pensylvanie ; livres, papier, caractères d’imprimerie, poudre, fusils, rails, locomotives et wagons, même les cordes et les toiles qui servaient à envelopper le coton, tout provenait des états du nord. Les planteurs ne pouvaient jeter un regard sur eux ni autour d’eux sans reconnaître leur dépendance industrielle à l’égard des états libres. Par suite de leur rupture soudaine avec le nord, aujourd’hui tout commence à leur manquer, articles de vêtement, meubles, livres, papier, outils, machines. En dépit de leur haute civilisation, ils sont ramenés de force à un genre de vie qu’ils n’avaient jamais connu. Eux qui aimaient tant le luxe manquent souvent du nécessaire. Certainement, si les côtes du sud devaient être débloquées par la flotte anglaise et rendues au commerce du monde, les fabricans de Birmingham et de Sheffield seraient trop heureux de succéder aux manufacturiers de Pittsburg et de Cincinnati pour