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l’approvisionnement des états confédérés. Pourvu que l’Atlantique ne soit pas infesté de corsaires, ils s’empresseront de fournir à leurs nouveaux cliens tous les articles manufacturés dont ceux-ci ont besoin ; mais, quoi qu’ils fassent, ils ne pourront livrer leurs marchandises à un aussi bas prix que les fabricans yankees livraient autrefois les leurs ; les dépenses des planteurs seront augmentées et rendront d’autant plus coûteuses les cultures industrielles.

Pour éviter cette aggravation de prix et se prémunir contre le danger d’un isolement complet, les propriétaires d’esclaves ne seront-ils pas obligés de retirer des champs un grand nombre de leurs nègres et de les transformer en ouvriers ? N’est-ce pas à leur travail déjà qu’on demande tous les objets qui doivent servir à la défense nationale, les pelles, les pioches, les objets d’équipement, les harnais, les tentes ? Ce sont aussi des esclaves qui travaillent aux retranchemens, aux forts, aux batteries des côtes, au transport des provisions et du matériel de guerre. Même dans la plus profonde paix, une simple barrière posée entre les états du nord et ceux du sud suffirait pour enlever à la culture du coton un très grand nombre de bras, qui devraient être employés à la production des céréales, aux divers métiers, à l’industrie. Sous l’action de ces causes réunies, la récolte de 1861 a été probablement inférieure de moitié à celle de 1859. En dépit de l’exagération naturelle à tout Américain, le ministre des finances de la confédération du sud, M. Memminger, évaluait la quantité du coton recueilli cette année à 2,500,000 balles seulement.

Tels sont les résultats immédiats de la séparation ; mais il ne s’agit pas d’une simple ligne de frontières entre les états fidèles à l’union et les états rebelles : une guerre terrible sévit entre les deux moitiés de l’ancienne république, et, quelle qu’en soit l’issue, elle sera nécessairement fatale au monopole que les planteurs cotonniers d’Amérique exerçaient sur les marchés du monde au détriment du coton recueilli par des mains libres. Pendant les huit mois qui viennent de s’écouler, on a pu croire que le seul enjeu de la guerre était le coton, tant les hommes du nord s’ingéniaient à chercher des moyens de se l’approprier, tant les esclavagistes au contraire le gardaient avec un soin jaloux. Plein de cette illusion qu’il lui suffirait de monopoliser une grande partie de la récolte pour forcer les états industriels du nord à changer de politique et décider l’Angleterre à intervenir aussitôt, le gouvernement provisoire du sud avait instamment recommandé aux planteurs de souscrire non-seulement de l’argent, mais aussi des balles de coton payables à la fin de la guerre. L’emprunt de 15 millions de dollars autorisé par le congrès de Montgomery n’a été souscrit que pour les deux tiers.