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anglais avaient pu saisir un prétexte favorable pour diminuer leur fabrication de plus d’un tiers sans faire souffrir leur clientèle, ni même refuser une seule commande. C’est ainsi que les deux crises se sont en quelque sorte neutralisées. Grâce au répit accordé à la fabrication par les événemens d’Amérique, le marché est maintenant dans une situation normale, une hausse considérable se fait sentir sur les marchés de l’Asie, et les ordres commencent à affluer de nouveau. Le moment serait donc venu d’imprimer aux filatures une activité nouvelle. Toute la question est de savoir si les fabricans sont en mesure de donner cette impulsion.

On sait ce que peuvent répondre les pessimistes ; mais presque tous les économistes d’Angleterre semblent s’être donné le mot pour présenter l’avenir de l’industrie cotonnière sous le meilleur jour. Ils font d’abord remarquer que la crise a commencé à l’époque la moins défavorable de l’année. En effet, lorsque les premiers coups de canon furent échangés, l’Angleterre avait déjà dans ses entrepôts la plus grande partie de la récolte américaine ; elle se hâta de se faire expédier le reste, et, vers le milieu de l’année 1861, son approvisionnement n’était guère inférieur à celui des saisons précédentes. Aujourd’hui le chiffre total des balles de coton déjà emmagasinées dans les entrepôts anglais[1], ou bien amarrées dans la cale des navires à destination de Liverpool, est d’environ 660,000, quantité suffisante pour donner à l’Angleterre quatre mois de répit, en admettant que la consommation hebdomadaire jointe à la réexportation sur les marchés du continent s’élève en moyenne à 40,000 balles. D’ailleurs, dans l’année 1862, les pays producteurs de coton autres que la confédération esclavagiste expédieront au royaume-uni une somme de matière première au moins égale à celle qu’ils ont exportée pendant l’année qui vient de s’écouler, soit 1,200,000 balles environ. À cette quantité il faut ajouter les approvisionnemens particuliers des industriels, et surtout le supplément d’importations déterminé par la hausse des prix. Il est vrai que le poids des balles de coton expédiées de l’Hindoustan et de l’Afrique est moins fort que celui des balles de coton américain ; mais cette diminution de poids est plus que compensée par la légèreté et la finesse des tissus que l’on fabrique pendant les époques de cherté. Ainsi, même en supposant que les états confédérés n’exportent pas une seule balle de coton, on voit que l’Angleterre peut compter, pour l’année 1862 sur un minimum de 2 millions de balles, ce qui lui permettra de réexporter sur les marchés du continent européen la même quantité

  1. Le 6 décembre 1861, le stock était à Liverpool de 606,810 balles de coton, dont 319,370 balles de coton surate. Le stock de la semaine correspondante de 1860 était de 579,020 balles seulement, et se composait pour les quatre cinquièmes de coton américain.