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morale et du sentiment ; mais les lois économiques elles-mêmes condamnent le recours au travail servile, et si l’on ne prend pas de mesures sérieuses pour abolir l’esclavage des noirs au Brésil et dans les îles de Cuba et de Porto-Rico, il est certain que ces contrées tomberont tôt ou tard dans le malheur, accablées par les mêmes désastres qui ont fait crouler la prospérité des états confédérés d’Amérique. Aujourd’hui d’ailleurs il semble impossible que la production du coton augmente dans de fortes proportions au Brésil et à Cuba. Il est vrai que les spéculateurs de La Havane ont acheté un nombre assez considérable d’anciennes caféteries abandonnées dans la pensée de les revendre plus tard à des planteurs cotonniers ; mais l’île de Cuba emploie déjà presque toutes ses ressources, — y compris ses nègres, — à la culture de la canne à sucre, et les propriétaires d’esclaves pourraient difficilement modifier leurs luxueuses installations agricoles. Quant au Brésil, il exporte en moyenne 150,000 balles de coton ; mais, par suite de la faveur qui se porte vers la culture du cafier, les plantations cotonnières sont assez négligées dans les parties septentrionales de l’empire, colonisées par 4 millions d’esclaves. Pendant l’année commerciale qui vient de s’écouler, le port de Bahia, qui recevait autrefois de l’intérieur une assez grande quantité de coton, n’en a expédié en Europe que 146 balles.

Bien plus intéressante et bien plus riche d’avenir est la culture du cotonnier dans les Antilles délivrées du fléau de l’esclavage. Déjà les propriétaires se sont mis à l’œuvre pour augmenter l’étendue de leurs cultures, et l’initiative d’une société fondée à Manchester, the Jamaica cotton company, vient se joindre à tous leurs efforts isolés. Dès le mois de mai 1861, c’est-à-dire immédiatement après le bombardement du fort Sumter, la compagnie avait commencé ses semis de coton égyptien, et maintenant elle a déjà une récolte que l’on dit magnifique et dont elle réserve les beaux échantillons pour l’exposition universelle. En outre elle distribue généreusement des semences aux petits propriétaires de l’île, et déjà de nouvelles plantations sont établies dans tous les districts de la Jamaïque. On évalue à 400,000 hectares au moins la quantité de terres disponibles dans cette île seule pour la culture du coton, et, si les prix continuent à être suffisamment rémunérateurs, on peut compter sur l’aide des cent mille familles nègres qui composent presque toute la population[1]. Chose remarquable, cette même crise qui ruine les riches possesseurs d’esclaves à quelques degrés au nord de la Jamaïque enrichira probablement les noirs émancipés. Dans l’île d’Haïti, ce sont les anciens esclaves des planteurs américains qui sont appelés

  1. En 1861, sur un chiffre total de 441,264, le nombre des blancs était seulement de 13,816 : c’est la trente-deuxième partie des habitans.