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Et d’abord, à eux seuls les progressistes ne forment point la majorité de la chambre : ils seront 100 contre 250, et alors même qu’ils auraient dans certains cas l’appui des fractions anti-libérales, ils n’emporteraient pas pour cela le vote. Il faudrait donc que le ministère manquât tout à fait d’habileté et de mesure pour renforcer les progressistes par les voix des libéraux modérés. Il suffit en effet que ceux-ci se divisent seulement pour que la majorité tourne contre le ministère. Là est le véritable écueil. Sur les questions constitutionnelles proprement dites, le gouvernement diffère peu des libéraux de toute nuance : les ministres sont décidés à exécuter la loi fondamentale. La chambre des seigneurs forme le seul obstacle à cette politique : c’est elle qui systématiquement s’oppose à tout ce qui tend à régulariser le jeu des institutions. On ne saurait justement demander à un peuple qu’il abandonne indéfiniment ses destinées à un corps qui n’a pour lui ni la consécration des siècles, ni l’indépendance de fortune ou de position, qui est une création tout artificielle et contraire aux traditions historiques du pays. Sur ce point, le ministère prussien sera forcément amené à donner prompte satisfaction à la majorité de la chambre basse et à répondre ainsi au vœu de l’opinion. La dernière législature triennale est restée presque stérile à cause de l’opposition de la chambre haute : il n’est guère probable que le peuple prussien supporte patiemment une seconde expérience de ce genre. C’est là qu’il faut chercher surtout l’esprit de libéralisme accentué qui caractérise les dernières élections, comparées à celles de 1858.

L’autre question capitale, celle de l’organisation militaire, réclame des deux côtés un loyal échange de concessions. L’opposition reconnaît en principe la nécessité d’une réforme, mais elle songe aux hasards de la politique extérieure. « Opérez l’union de l’Allemagne, dit-elle au ministère, et vous aurez les contingens des autres états allemands pour renforcer l’armée prussienne. » Le ministère retourne ainsi l’argument : « Pour opérer l’union de l’Allemagne, il faut, dit-il, que la Prusse impose le respect et par ses institutions et surtout par son organisation militaire ; sans forte armée, point de forte politique. » Voilà en quels termes cette grande question se trouve engagée à la veille de l’ouverture des chambres ; Ainsi de toutes les façons l’aristocratie et l’armée sont les pierres d’achoppement que rencontre à Berlin l’affermissement du gouvernement constitutionnel. Ce fait s’est présenté trop souvent dans l’histoire pour que l’on puisse s’étonner de le voir se reproduire en Prusse : le problème à résoudre, c’est d’aplanir les obstacles sans recourir aux moyens révolutionnaires. Sur ce point, les libéraux de Berlin paraissent s’entendre. De même qu’il serait dangereux d’accorder à une aristocratie qui n’en a que le nom une prépondérance sur les