Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout, a compris qu’il ne saurait attendre un appui efficace d’une majorité parlementaire qui ne serait pas en même temps l’expression de la majorité de la nation. Voilà pourquoi il a rompu avec le système des influences administratives sur les élections, sans se renfermer toutefois dans un rôle passif. Le résultat des élections prouve que les intentions du ministère ont été remplies, c’est-à-dire que les électeurs ont pu suivre librement leurs convictions politiques.

Sans doute l’élection de cent députés progressistes est un symptôme qui mérite d’être sérieusement médité. Dans ce nombre, il y a beaucoup de membres de l’ancienne gauche de l’assemblée nationale de 1848, ce qui prouve que les principes de ce parti ont survécu à l’époque révolutionnaire et jeté des racines dans l’esprit des populations ; mais les idées qui n’avaient pas eu le temps de mûrir ont revêtu depuis une forme plus positive et plus pratique. Les libéraux avancés, si l’on peut s’en rapporter à leurs manifestes, ont renoncé à la politique pessimiste, et à l’exemple des modérés ils paraissent vouloir se servir de ce qui existe, c’est-à-dire de la charte imparfaite de 1850, pour arriver à un ordre de choses meilleur. Placées ainsi sur le même terrain, les deux fractions du libéralisme s’unissent encore dans la volonté de ne pas faire d’opposition systématique au ministère. Le seul reproche que les modérés adressent aux progressistes, c’est d’exagérer le pouvoir des chambres, et en particulier celui de la chambre basse, de ne pas tenir compte des obstacles que ce pouvoir rencontre dans les régions qui, pour être hors de l’atteinte directe des votes parlementaires, réagissent d’autant plus sûrement sur la direction des affaires. Ce n’est que par un travail long et prudent, disent les modérés, qu’on parviendra à neutraliser ces influences. En un mot, le danger est dans l’aristocratie, qui, exclue de la chambre basse, n’aura que plus de liberté pour contrecarrer les projets de ses adversaires ; le danger est dans l’état-major de l’armée, étroitement lié par des intérêts de famille et de corps à la cause féodale. Examinez bien la situation, disent encore les libéraux aux progressistes. Supposez qu’en ce moment vous obteniez la majorité dans la chambre, de manière à obliger le ministère à se retirer. Croyez-vous que le souverain soit très disposé à chercher ses conseillers dans vos rangs ? Et même en cette occasion pensez-vous, sans employer des moyens violens, que vous puissiez triompher plus facilement que les ministres actuels de l’hostilité des féodaux ? Or, si vous ne vous souciez pas de prendre vous-mêmes en main, pour le moment, les rênes du pouvoir, ne rendez pas impossible le ministère actuel, accordez-lui l’appui dont il a besoin.

Tel est le langage que les amis du ministère tiennent aux progressistes. Tout porte à croire que ces conseils ne seront pas perdus.