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ou en amuseur méprisé : il vient en maître qui dictera ses volontés et jettera un regard insolent à la foule hideuse qui encombre l’aula. Il lui est facile d’augmenter encore les terreurs d’Héliogabale, de lui présenter sa situation comme désespérée, la trahison couvant partout et l’émeute près d’éclater sous ses pas ; mais, après avoir ainsi mis le comble aux frayeurs de l’enfant couronné, il change brusquement de ton et lui dit de prendre courage, car dans cette guerre éternelle entre l’homme et la ville la victoire ne restera-t-elle pas enfin à l’homme ? Et alors il lui développe toute une philosophie de l’histoire étrange, infernale : il lui montre Rome sans cesse en lutte avec ses empereurs, leur rendant tout gouvernement impossible, rêvant toujours la république, et se vengeant de ses maîtres par l’opposition stoïque où par la méchanceté spirituelle, soudoyant les émeutes des prétoriens. Rome a conspiré sans cesse et massacré ses césars : eh bien ! que César soit à son tour le conspirateur, qu’il frappe mortellement sa mortelle ennemie ! Il ne s’agit pas ici d’Alexandre Severus, de telle cohorte ou de tel sénateur : il s’agit du grand et implacable persécuteur, de cette cité de tout temps acharnée contre les successeurs d’Auguste ; il s’agit de la ville éternelle, — pas plus éternelle cependant que Babylone ou Jérusalem. Que le fils de Caracalla ait une volonté ferme, qu’il devienne ce que quelques héros seulement ont osé être, qu’il devienne destructeur, et laisse la ville toujours rebelle en héritage aux serpens et aux scorpions ! La source du mal une fois tarie, il retournera au pays où il est né, « là où les hommes parlent librement aux étoiles, » sous ce beau et radieux ciel de l’Asie, et il y fondera un nouvel empire. Délivré de nuits sans sommeil, pontife et césar à la fois, ressemblant aux demi-dieux égyptiens, il passera des jours heureux au milieu des vapeurs odorantes de l’aloès et de la myrrhe ; les grands noms du passé s’éteindront devant le sien, et il n’y aura plus ni sénateurs ni légistes rêvant la république et osant se moquer de Mithra ou rire des manches pendantes du costume oriental de l’empereur… La perspective est d’une horreur sublime, faite pour embraser le cerveau d’un fils de Caracalla ; mais ce qu’il y a de saisissant dans cette scène fantastique, c’est qu’elle a un côté réel, qu’elle décèle une pensée qui germera dans l’avenir et deviendra une fatalité historique. Les temps arriveront en effet où les césars se retireront peu à peu de la ville baignée par le Tibre, où ils sacrifieront Rome pour sauver l’empire, où enfin Constantin transportera en Orient la capitale de l’univers, et il est curieux de voir ainsi dans cette scène la vengeance et la folie pressentir l’œuvre future des siècles. Quant à l’exécution de ce plan destructeur, que César se repose en toute confiance sur le fils d’Amphiloque. Il laissera pénétrer