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figure épisodique, mais dessinée à grands traits, comme sait le faire le poète anonyme. Il a aimé autrefois ; un jour, un seul, le séparait encore du bonheur, quand un centurion vint lui arracher sa fiancée pour la jeter dans le cirque Flavien. Un crâne, c’est tout ce que lui a laissé la dent du tigre ! Depuis, il a embrassé-la croix avec ferveur, un ascétisme brûlant a épuré son âme de toute pensée de vengeance ; mais il a profondément médité sur la passion divine, il a ressenti un amour immense au souvenir du Golgotha… « Et puisque Dieu lui-même, pour sauver le monde, a pris un corps, pourquoi son épouse, son église, pour sauver ce monde, ne saurait-elle prendre un corps ? Jusqu’à présent elle n’a été que par l’esprit ; mais où est son temple, où est sa maison, où est sa puissance ? » — « Arriver en un seul jour, — s’écrie-t-il dans une de ses extases solitaires, — à posséder le monde, non celui qui étincelle sous l’or, qui gémit dans les fers, mais ce monde immense, ce monde des âmes, et y régner en ton nom, ô Dieu ! » Vous voyez déjà d’ici le spirituel méditant le règne sur le temporel, et dans les visions de Simon vous pouvez distinguer l’ambition future des Grégoire et des Dominique. Sur des esprits disposés de la sorte, l’action d’Iridion ne laisse pas d’avoir une grande prise, et il est écouté quand, au lieu de « la victoire à la face du Seigneur » que promet Victor, il leur parle, lui, « d’une lutte et d’un triomphe qui sont de ce monde et plus près de nous. »

Avant tout cependant le fils d’Amphiloque doit gagner à sa cause Cornelia Metella, la vierge sainte que les chrétiens adorent. Le poète a réuni toutes les grâces autour de cette noble victime, et le fils de la vengeance lui-même se sent troublé par le charme divin qu’elle exhale autour d’elle ; mais Masinissa la lui a désignée comme l’instrument principal et indispensable de son œuvre. Pour associer le christianisme à son travail destructeur, pour incarner, lui a-t-il dit, en des passions humaines « une force qui n’est pas de ce monde, » il lui faut une femme. Ils adorent une vierge, ces Nazaréens ! Eh bien ! qu’il choisisse donc la plus pure et la plus sainte parmi leurs femmes, qu’il l’enflamme de ses idées et qu’il la jette parmi eux ! Avec une perspicacité satanique, le terrible vieillard a entrevu le danger que court le cœur féminin dans le mysticisme chrétien, la pente de tout amour extatique à se matérialiser par l’excès même de son raffinement, et il a tracé à son élève sa ligne de conduite : « Loue son Dieu, adore chacune de ses plaies, parle avec attendrissement des clous qui ont percé ses membres,… et puis détache sa pensée du crucifié et fais qu’elle la repose sur toi… Lui, il est loin, il a été sur la terre, il ne reviendra plus : toi, tu vis, tu existes, tu es à ses côtés, — tu deviendras son dieu !… Quand sa tête s’appuiera sur ta poitrine, quand son sein tressaillera comme le sein d’une esclave,