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l’âme s’oubliera dans les ardeurs du corps, — et alors, ô mon fils, mon esprit sera avec toi, tu auras alors des serviteurs dans les catacombes ! » La lutte qui s’engage entre Iridion et Cornelia, entre l’idéal de la beauté classique et le spiritualisme ascétique du cœur chrétien, est un des épisodes les plus émouvans et les plus passionnés du drame. Le fils d’Amphiloque fait éclater devant la sainte toute la violence de son amour, et de sa haine, il l’embrase de son souffle ardent, et il lui explique en même temps tout le passé odieux de Rome, il lui crie d’aimer, de vivre et de venger le Sauveur. La chrétienne résiste, mais elle est fascinée ; pour la première fois elle a peur des morts qui l’entourent, elle fait un effort pour s’élancer vers le Christ, pour fuir ce Grec qui lui apparaît toujours comme un prophète, comme un archange. Enfin arrive le moment décisif. Devant le tombeau des martyrs, prenant les saints ossemens pour témoins, le Grec arrache le voile de Cornelia, perdue dans la prière, et flétrit d’un impur baiser le front chaste de la vierge, qui croit reconnaître en lui l’envoyé du ciel.

Maître de Cornelia, Iridion court à l’Eloïm, le lieu le plus saint des catacombes, là où sont assemblés tous les fidèles. Couvert de son armure et le glaive dans la main, il déclare aux justes que le temps de la résignation est passé, que la mesure est comblée. Le moment est suprême : la division est dans la ville, le fils de l’impudicité chancelle sur son trône, les prétoriens ont détourné de lui leurs cœurs ; le peuple, troublé comme la mer, ne sait à quel vent se livrer. Dans toute l’Asie, les légions se soulèvent : aux abords du Rhin, les Germains se révoltent, le césar et Alexandre Severus se préparent à leur dernier combat ; mais qu’importe aux chrétiens le vainqueur ? Quel qu’il soit, n’aurait-il pas sur les lèvres un blasphème contre le Christ ? Tels sont les signes qui ont été prédits : qu’on les reconnaisse donc, qu’on ait une volonté ferme et qu’on soit libre !… Mais qui lui a confié le soin de conduire le peuple de Dieu ? lui demandent les récalcitrans. Qui se lèvera pour dire que c’est le Seigneur qui l’a armé ? Simon de Corinthe se lève ; c’est lui qui témoignera de la mission d’Iridion. Il supplie ses frères de ne pas laisser échapper ce moment propice. De cette minute, qui ne reviendra plus, qu’on fasse jaillir l’étincelle de vie, car c’est en elle, en elle seule, que dorment en germe les siècles futurs… A ce moment, Cornelia accourt, éperdue, inspirée, et criant : Aux armes ! Le témoignage de la chrétienne finit par entraîner les vacillans. Les barbares baptisés sont surtout heureux de trouver le Messie dans le petit-fils de Sigurd ; les jeunes, les forts, ceux qui sentent et qui vivent lui jurent d’être exacts au rendez-vous ; les vieux, les purs, les saints résistent et supplient. La confusion est à son