Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pasquali était sur sa barque, à peu de brasses du rivage. Il vint me prendre, et, m’expliquant tous ses engins de pêche et la manière de s’en servir, il m’emmena à quelque distance. Il ne pêchait guère que des poulpes et des coquillages : il n’y a pas de bons poissons dans ce golfe sans profondeur, et sa pêche était une affaire d’art et de ruse, sans aucun but d’utilité personnelle. Il n’y goûtait jamais et donnait tout aux pêcheurs de la côte, qui n’étaient pas moins jaloux pour cela de son habileté, et prétendaient qu’il dépeuplait leurs eaux avec ses malices. Il se servait principalement d’un long roseau tout simplement taillé par un bout, en croix double ou simple. Les bouts écartés du roseau forment ainsi une sorte de pince que l’on applique lestement et adroitement sur le coquillage aperçu au fond de l’eau. On l’y fixe en appuyant ; les aspérités de la coquille se prennent aux bouts du roseau, qui tendent à se rejoindre, et on ramène la proie bien entière et bien vivante. La chasse aux poulpes et aux calmars est plus savante. Ces animaux sont méfians, voient et entendent on ne peut mieux : ils savent se cacher ou fuir rapidement. Pasquali avait l’œil d’une mouette, pour voir au fond de l’eau et pour distinguer dans les algues une patte mal rentrée, que j’aurais cent fois prise pour un bout de plante marine.

Je m’amusai une heure avec lui de ses prises intéressantes, de ces étranges polypes qui s’épanouissent comme une fleur à la surface de l’eau, et qui rentrent tout à coup dans leur tige, de ces moules délicates, appelées dattes de mer, qui habitent le cœur des plus durs rochers, où elles savent se creuser une demeure dont il ne leur est plus possible ni nécessaire de sortir, l’eau pénétrant leurs galeries et leur apportant la nourriture. Les rochers de calcaire compacte forés par ces patiens coquillages arrivent à représenter un gâteau de cire travaillé par les abeilles. J’aurais pourtant mieux aimé parler de Mme  Martin ; mais Pasquali était trop absorbé pour me répondre. Couché à plat ventre sur sa barque, le corps penché sur l’eau et les bras étendus pour manœuvrer son roseau, il ressemblait au féral de proue d’une gondole vénitienne.

Quand je le quittai au bout de deux heures, j’avais retrouvé l’équilibre de mes idées. Je m’étais rappelé avec quel respect M. de La Rive m’avait parlé à diverses reprises de la vie austère et méritante de Mme  d’Elmeval. C’était à ce point que, sans connaître les particularités de son caractère et de sa situation, j’avais à peine osé la regarder lorsque je l’avais rencontrée chez lui. Je traversai la colline de Tamaris à distance craintive de la maison, et sans vouloir observer si les fenêtres étaient ouvertes. Il faisait encore chaud. Je fus donc étonné, après que j’eus dépassé la bastide Roque, de