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Les « députés fidèles, » et surtout ceux dont la conversion toute récente avait besoin de faire ses preuves, s’apprêtaient en effet à disputer le terrain pied à pied. Dans les séances des 9, 10, 12,15, 16, 10 et 20 novembre, les deux cent six paragraphes de l’énorme document[1] furent passés au crible, et partout où la résistance était possible, elle fut essayée. Une séance tout entière, grâce à l’inépuisable faconde des royalistes, fut consacrée à un seul article (le cent quatre-vingt-dixième), et le débat portait tout entier sur un seul mot. Il s’agissait des tendances catholiques de l’épiscopat tel que l’avait fait la nouvelle discipline de Laud, et on y justifiait les communes d’avoir combattu « l’idolâtrie… introduite dans l’église par l’ordre (command) des évêques eux-mêmes. » L’expression était impropre, puisque « l’ordre » en question n’existait nulle part sous forme précise et saisissable. C’est « la volonté » qu’il eût fallu dire. Cette inexactitude suffit aux orateurs de la prérogative pour discuter toute une journée (15 novembre) et faire remettre au lendemain le vote de la clause contestée. Cet échantillon du débat sera notre excuse pour ne pas entrer dans de longs détails sur ces passes d’armes oratoires ; nous n’en voulons accuser que la physionomie générale.

La remontrance, œuvre de Pym, verbeuse, mais forte, substantielle, pleine de faits exposés avec une ardeur contenue, une gravité qui impose, une conviction communicative, était une apologie, une censure, un programme. Prenant un à un les grands traits du règne, les communes en signalaient les abus révoltans, les tendances oppressives. L’histoire des trois premiers parlemens, rapidement esquissée, montrait assez comment les garanties constitutionnelles avaient été respectées ; la violation de la pétition de droit, sanctionnée par le monarque, était rappelée avec amertume, et à ce sujet Pym évoquait le sinistre fantôme d’Eliot, ce martyr que la foule avait déjà oublié, mais dont Hampden et lui gardaient précieusement la mémoire. « Son sang crie encore vengeance ! » disait l’intrépide leader, et les communes, se levant pour voter la clause, répétaient à leur tour : Son sang crie vengeance !…

Venait ensuite le gouvernement de prérogative, le gouvernement sans contrôle et sans lois, imposé à l’Angleterre pendant onze années consécutives : droits féodaux rétablis, chartes violées, extorsions

  1. Dans la collection de Rushworth, la grande remontrance, imprimée tout au long, ne remplit pas moins de quinze pages in-folio. On ne s’explique guère comment un document si essentiel a été négligé par les historiens. Hallam et Lingard ne lui consacrent, que quelques lignes. Godwin le passe absolument sous silence. Disraeli (dans les Commentaires dont nous avons parlé) le présente sous un jour absolument faux, et en dénature le contenu. Macaulay et Carlyle n’en parlent qu’incidemment.