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dans l’Europe moderne[1], et plus conformes en revanche à l’opinion de M. Hallam, qui ne voit guère de républicains en Angleterre avant l’année 1645[2]. Le fait est que, même après le coup d’état avorté du 4 janvier 1642, la veille du jour où les drapeaux de la guerre civile allaient être déployés, les chefs populaires, dont la bonne foi est maintenant à l’abri du moindre soupçon sérieux, désavouaient toute pensée d’animosité personnelle, et affirmaient énergiquement au contraire leur désir d’arriver à une « honnête combinaison constitutionnelle » qui dégageât leur responsabilité d’hommes publics, et permît au pays l’espoir d’un gouvernement à peu près supportable. Sans parler de la justification publiée par Pym à la veille de sa mort (1643), et qui renferme à ce sujet les protestations les plus éloquentes, lord Wharton, Denzil Hollis, lord Say et Seale (le chef des puritains), lord Essex, lord Northumberland, dans des lettres tout récemment publiées, que reçut d’eux un magistrat de ce temps-là, lequel avait entrepris une médiation officieuse entre le roi et le parlement, tiennent tous le même langage : « Le roi veut faire du parlement une machine à battre monnaie, un docile instrument de toutes ses volontés. Nous ne pouvons souscrire à une prétention pareille ; mais nous ne sommes ni des têtes turbulentes ni des cœurs déloyaux. Un changement sincère chez le roi nous ramènera sous son obéissance ; nous ne lui souhaitons que richesse et grandeur, pourvu qu’il les rende compatibles avec nos droits et nos libertés. » Lord Essex exprime avec une franchise de soldat sa tristesse patriotique en face des malheurs prêts à fondre sur le pays. Northumberland ne veut les attribuer qu’aux funestes conseillers dont Charles s’est entouré[3]. Il eût été moins respectueux, mais plus exact de s’en prendre à l’indécision de volonté, à l’incurable besoin de dissimulation, et, disons-le, de fourberie qui caractérisèrent toujours la politique de Charles Ier et de la reine. Ces vices menèrent l’un à l’échafaud, l’autre en exil, et donnèrent l’Angleterre à Cromwell, dont le despotisme habile fut la condamnation anticipée du honteux régime des Stuarts restaurés. Cromwell, qu’on n’en doute pas, est le principal auteur de la révolution de 1688. Cela peut étonner, mais en vérité cela console.


E.-D. Forgues.
  1. Commentaries on the Life and Reign of Charles the First. M. Disraeli cite un passage curieux du Basilicon Doron de Jacques Ier à l’appui de sa théorie. Voyez chap. XXV.
  2. Constitutional History of England.
  3. Toutes ces lettres, empreintes de la plus grande modération, ont été publiées dans un livre intitulé Corfe Castle, par le descendant du chief-justice à qui elles avaient été jadis adressées.