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celle du Piémont ; elle n’exerce pour ainsi dire aucune action sur les forêts communales, qui sont à peu près abandonnées à la jouissance commune et littéralement mises au pillage. Les habitans y vont presque sans contrôle couper le bois dont ils ont besoin et y conduisent leurs bestiaux au pâturage ; aussi voit-on partout les montagnes se dénuder, des ravins s’y former, et de nombreux torrens, à sec pendant l’été, rouler pendant l’hiver des cailloux qui obstruent les rivières et envahissent les plaines. Les restrictions apportées par la loi française dans les départemens annexés y ont même provoqué quelques réclamations ; mais on a tenu bon, et l’on ne tardera pas sans doute à apprécier les résultats du nouveau régime. Ce n’est pas en effet au moment où l’état s’impose des sacrifices considérables pour reboiser certaines régions qu’il doit, sur d’autres points, laisser le déboisement s’opérer sans obstacle, dût-il contrarier certaines habitudes locales.

En Angleterre, il n’existe plus guère que 40,000 hectares de forêts domaniales, dont la plus importante est la New-Forest, dans le Hampshire, qui fut créée, dit-on, par Guillaume le Conquérant. Ces forêts sont gérées par des inspecteurs qui font en quelque sorte l’office d’intendans ; ils effectuent les ventes de bois, en touchent le montant, sur lequel ils retiennent leurs propres appointemens, ceux des gardes, les sommes nécessaires pour les travaux d’entretien, et remettent le surplus aux agens du trésor. Un pareil système serait incompatible avec les règles de la comptabilité française et peut d’ailleurs donner lieu à d’assez nombreux abus, ainsi que l’a constaté en 1852 une enquête parlementaire, à la suite de laquelle plusieurs agens furent révoqués de leurs fonctions[1]. Il est d’ailleurs moins indispensable dans la Grande-Bretagne qu’en tout autre pays que l’état possède des forêts, d’abord parce que l’existence d’une riche aristocratie et le maintien du droit d’aînesse permettent aux forêts particulières de se perpétuer et de se transmettre sans morcellement de génération en génération[2], ensuite parce que la houille remplace avantageusement le bois de chauffage et que les colonies fournissent en abondance les bois de marine et d’industrie que réclament les besoins du pays.

En Russie, le service forestier a plus d’importance : la couronne y possède d’immenses étendues de bois, dont elle cherche à tirer le

  1. S’il faut en croire le Farmer’s Magazine, les frais de toute nature s’élèvent à 1,325,000 francs et le produit à 1,450,000 francs, ce qui donne un revenu net de 3 fr. par hectare environ, tandis qu’en France ce revenu est de plus de 27 francs.
  2. On en trouve surtout en Écosse, où des étendues considérables ont été reboisées. Le dernier des ducs d’Athol a, pour son compte, planté en mélèzes plus de 6,000 hectares. Voyez l’Essai sur l’Économie rurale de l’Angleterre, par M. de Lavergne.