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dres détails de l’armement et de la manœuvre avec l’animation d’un officier instructeur ; il sait comment on manie la pique et pourquoi l’on peut hésiter à remplacer le mousquet par le fusil ; il annonce avec joie l’apparition de la baïonnette, qui doit émanciper le fantassin de la gênante tutelle où le tient le cavalier, et nous dit à ce propos que Louvois mourut « ayant aperçu la terre promise. » Il juge les généraux en homme qui a longtemps vécu dans l’intimité du secrétaire de la guerre, et ne ménage pas les défaillances des guerriers les plus illustres ; mais il manifeste une honnête satisfaction lorsqu’il peut justement réhabiliter les maltraités de la fortune et de l’opinion. Il se réjouit de l’avancement du sergent La Fleur, fait officier pour une action d’éclat ; il se félicite de voir la richesse acquise par le travail devenir, à l’égal de la naissance, un titre au commandement des régimens ; il signale avec orgueil le rôle croissant de la bourgeoisie dans les armées en homme qui, sans vouloir dénigrer la noblesse, se sent du tiers-état. Tout en appréciant les nécessités de la politique avec la bonhomie clairvoyante d’un moraliste patriote, il proteste chaleureusement contre les inutiles atrocités prescrites par Louvois à Luxembourg après la campagne de Hollande, et contre la férocité frivole avec laquelle Luxembourg rend compte à Louvois de son odieuse mission ; mais alors même que M. Rousset proteste, son cœur est touché des bons tours que ces grands serviteurs de la France jouent à l’ennemi ; il compatit à l’insolence de gens si habiles et si habitués à vaincre, et il ne peut même toujours se défendre du ton dégagé avec lequel ces victorieux raillent leurs adversaires trompés ou battus. Qu’il s’égaie un peu aux dépens des Hollandais, lorsqu’à la veille d’entrer dans leur pays Louvois leur achète la poudre qui doit servir à prendre leurs places fortes, je le veux bien ; mais qu’il aille jusqu’à s’écrier que « l’esprit de négoce et l’appât du gain étouffaient ou aveuglaient le patriotisme de ce peuple de marchands, » c’est parler un peu trop à la Luxembourg. Tournez le feuillet, et vous verrez comment « ce peuple de marchands, » sacrifiant à son patriotisme le sol national lui-même, le rendit à la mer plutôt que de le céder à Louis XIV, et contraignit le grand roi à ce bel hommage que nous ne connaîtrions pas d’ailleurs sans le nouvel historien de Louvois : « Les états, revenus un peu de leur première frayeur et convaincus que le salut du reste de leur pays consistait dans celui de sa capitale, qui en est comme l’âme, lâchèrent leurs écluses, mirent leur pays entièrement sous l’eau et me mirent dans la nécessité de borner mes conquêtes, du côté de la province de Hollande, à Naerden, à Utrecht et à Woerden. La résolution de mettre tout le pays sous l’eau fut un peu violente, mais que ne fait-on point pour se soustraire d’une domination étrangère !