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avec raison M. Rousset, elle n’est pas, malgré tous les calculs du génie, une science exacte ; elle tient toujours du jeu par quelque endroit. » La guerre de siège tient moins du jeu que toute autre, surtout depuis que le génie de Vauban en a fixé les règles ; aussi plaisait-elle à Louis XIV, qui y trouvait l’occasion d’ébahir l’Europe par des coups de théâtre longuement et habilement prémédités. Paraître à l’improviste devant une place qui la veille ne se croyait pas menacée, et dont la chute se préparait depuis plusieurs mois avec le plus impénétrable secret, la faire tomber comme par enchantement, vaincre comme par sa seule présence, étaler la beauté de ses combinaisons en même temps que la magie de ses armes, Louis XIV faisait d’énormes sacrifices à la passion de donner de tels spectacles. Les trop faciles succès de ses promenades militaires pendant la guerre de dévolution avaient beaucoup contribué à développer de bonne heure en lui ce besoin d’une grandeur un peu scénique dans l’attitude. Lui-même n’en convenait-il pas orgueilleusement, dans son Mémoire sur la Campagne de 1672, lorsqu’après de vains efforts pour donner de bonnes raisons de n’avoir pu « se résoudre » à accepter les propositions « fort avantageuses » de paix que lui avaient adressées les états-généraux, il s’écriait : « La postérité ajoutera foi, si elle veut, à ces raisons, et rejettera à sa fantaisie ce refus sur mon ambition et sur le désir de me venger des injures que j’avais reçues des Hollandais ? Je ne me justifierai point auprès d’elle. L’ambition et la gloire sont toujours pardonnables à un prince, et particulièrement à un prince jeune et aussi bien traité de la fortune que je l’étais. »

Ambition, gloire, vengeance, Louis XIV nous dit là le vrai mot de la guerre de Hollande. Certains historiens ont voulu y voir une guerre de religion, une sorte de croisade contre le protestantisme et le républicanisme, et je me souviens d’avoir lu au collège de belles tirades contre Louis XIV abandonnant, en l’an de grâce 1672, « la politique d’intérêts pour la politique de principes, » et renonçant par fanatisme catholique et monarchique aux sages traditions de Henri IV, de Richelieu et de Mazarin. Toutes ces solennelles généralisations à l’usage de la naïve jeunesse sont de la pure fantaisie d’esprit. Louis XIV voulut « anéantir » les Hollandais, ou tout au moins les « réduire à souscrire une paix honteuse, » non parce qu’ils étaient protestans et républicains, mais parce que, « au lieu de s’intéresser à sa fortune, » ils s’étaient placés « dans son chemin » pendant la guerre de dévolution, parce qu’ils avaient arrêté ses conquêtes dans les Pays-Bas espagnols, parce qu’ils « avaient osé lui imposer des lois et l’obliger à faire la paix, » parce que « leur insolence l’avait piqué au vif. » C’est lui qui nous l’apprend