Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/630

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rare mélange de fermeté et d’entrain qu’elle savait déployer. Tantôt ce sont les soldats de Turenne, que leur opiniâtre sang-froid ferait prendre à certains momens pour des hommes du Nord, si au signal de leur chef on ne les voyait retrouver toute leur impétuosité native ; tantôt ce sont de nobles et brillans mousquetaires, dont la fougue intelligente fait penser à nos zouaves. Écoutez comment, le 17 mars 1677, ils prirent Valenciennes, sans en demander la permission à Louis XIV :


« Le 16, dans la nuit, deux fortes colonnes d’assaut furent disposées aux extrémités de la parallèle ; en tête de ces colonnes se trouvaient les deux compagnies des mousquetaires de la garde et la compagnie des grenadiers de la maison du roi que Louis XIV avait tout récemment formés des meilleurs soldats de son régiment ; on les appelait familièrement dans l’armée les riotorts, du nom de leur commandant ; ils servaient, comme les mousquetaires, indifféremment à pied ou à cheval. Pendant toute la nuit, les batteries de mortiers n’avaient pas cessé de lancer des bombes. Le 17, au point du jour, leur feu s’éteignit graduellement. Le canon ne tirait qu’à de longs intervalles, un profond silence régnait dans la tranchée, nulle agitation, rien qui pût éveiller l’attention de l’ennemi. Tout à coup, à neuf heures du matin, neuf coups de canon donnent le signal. Quatre mille hommes environ, s’élançant brusquement de la parallèle, escaladent sur plusieurs points le premier ouvrage, et tombent sur ses défenseurs, qui ne s’attendaient à rien moins qu’à être attaqués. Aussi ce premier ouvrage fut-il emporté en un clin d’œil et presque sans perte… Les premiers momens donnés aux premiers ordres, Louis XIV, qui s’était placé sur une hauteur pour voir l’affaire, entendit un bruit de canon ; comme il cherchait d’où venait ce bruit, il aperçut soudain, non sur le premier ouvrage, ni sur le second, ni sur le troisième, mais sur les remparts mêmes de la ville, les habits éclatans de ses mousquetaires. Il les crut tous perdus, tués ou pris ; ils étaient en train de prendre Valenciennes.

« Voici ce qui s’était passé. Après l’assaut, les mousquetaires, jeunes et ardens gentilshommes, avaient dédaigneusement laissé aux troupes qui les suivaient le soin vulgaire de faire le logement dans l’ouvrage conquis. Pour eux, ils s’étaient jetés à la poursuite des fuyards. Les riotorts, vieux soldats, ne voulurent pas abandonner ces vaillans étourdis, et les uns et les autres criant : « Tue ! tue ! » pointant de l’épée dans la masse confuse qui roulait devant eux, allaient au hasard à travers les accidens des fortifications, palissades, fossés, traverses, descendant, montant, tournant, escaladant les ouvrages, et toujours poussant au milieu d’une foule éperdue qui grossissait à mesure, mais sans résistance, et qui les aurait écrasés rien qu’en se refermant sur eux, jusqu’à ce qu’enfin, ayant traversé sur des corps amoncelés un étroit et obscur passage, ils se trouvèrent tout à coup dans la ville. Alors ils commencèrent à se reconnaître. Surpris, mais non effrayés de leur situation, Ils se rallièrent… Une rue s’ouvrait devant eux, à l’autre bout de laquelle ils voyaient s’avancer une troupe de cavalerie inquiète de ce désordre et de ces clameurs. Les uns, se jetant dans les maisons à