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qui sied à l’Afrique à peu près comme une visière à un turban. Nous doublons le cap Ferrat et la pointe de l’Aiguille, et nous voici dans le golfe d’Oran. Côtes arides, déchiquetées. Ce sont les contre-forts de la montagne des Lions, qui est non moins aride et fortement découpée en vallées profondes, de formes sauvages. D’où nous sommes, cette nature tourmentée, avec ses maquis de lentisques et de palmiers nains, ressemble à un plan en relief couleur d’ocre, avec des plaques d’un vert faux.

Oran se laisse apercevoir au fond du golfe, avec ses citadelles espagnoles perchées sur la montagne du Chameau. La ville est à demi cachée par des collines semées de forts et de casernes. Après dîner, le prince et la princesse descendent à terre ; ils sont très bien reçus, toute la population est dans les rues. Nous visitons la préfecture, le château neuf, palais mauresque assez beau, d’où nous voyons toute la ville, qui ne ressemble en rien à Alger. Les maisons, construites à la française, sont généralement peu élevées : beaucoup de jardins ; la mosquée est belle, la ville semble éparpillée sur ses deux plateaux. La promenade Létang est vaste et domine la mer. Excursion en voiture sur la route de Mascara jusqu’à la Senia. Cette route est bordée de mûriers et de bell’ombra, le pays est plat, la terre rouge, la végétation déjà dévorée par le soleil ; mais le sol est généreux, à en juger par tous ces jardins potagers entourés d’aloès et de cactus, par les vignes, les cultures de mais et de betteraves et les champs de blé déjà moissonnés. La population arabe, dont les tribus, campées à un kilomètre de la ville, faisaient encore le coup de fusil avec nos troupes il y a quinze ans, a presque entièrement disparu de cette région. La ville n’est habitée que par des Français, des Espagnols, des Juifs, qui ont conservé leur ancien costume ; pas un seul Biskri, peu de nègres, encore moins d’Arabes. Voilà du moins ce qui saute aux yeux quand on passe.

25 juin, en mer. — Depuis hier soir nous avons perdu de vue la terre d’Afrique. Mes compagnons de voyage sont, outre notre excellent ami le lieutenant-colonel Ferri-Pisani, aide-de-camp du prince, le colonel de Franconière, premier aide-de-camp, le lieutenant-colonel Ragon, qui déjà m’est particulièrement sympathique, tous trois officiers distingués aux campagnes d’Afrique, de Crimée et d’Italie ; le commandant Bonfils, capitaine de vaisseau, ex-gouverneur aux colonies, invité du prince pour le voyage, ainsi que le docteur Yvan, que tu connais, et dont tu as pu apprécier les connaissances étendues et variées.

Les officiers du yacht sont le commandant Georgette Dubuisson, le lieutenant Béquet, les enseignes Brunet, Roger Arago, un des neveux du grand astronome, et George de La Guéronnière,