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CONFIDENCES
D'UNE AME LIBERALE

LETTRES INEDITES ET JOURNAL INTIME DE SISMONDI

Les meilleures pensées d’un écrivain ne sont pas toujours celles qu’il livre volontairement à la foule ; l’esprit a ses délicatesses et ses pudeurs. Un jour, au sujet d’un tableau, le fougueux critique du XVIIIe siècle essaie de caractériser l’inspiration dans les arts, et maintes idées hardies, lumineuses, maints éclairs d’un spiritualisme imprévu illuminent tout à coup le papier où galope sa plume. Étonné lui-même de ce qu’il vient d’écrire, il en a presque honte, et comme c’est à un confident qu’il s’adresse, il ajoute aussitôt : « Si vous avez quelque soin de la réputation de votre ami et que vous ne vouliez pas qu’on le prenne pour un fou, je vous prie de ne pas confier cette page à tout le monde. C’est pourtant une de ces pages du moment qui tiennent à un certain tour de tête qu’on n’a qu’une fois. » Puisque Diderot a éprouvé ce scrupule, on comprend que des esprits moins impétueux, même parmi ceux qui se consacrent le plus loyalement au service du public, dérobent à ce client indiscret toute une part de leur vie spirituelle. Il y a, en un mot le domaine des secrètes pensées comme il y a le domaine des pensées publiques. L’intelligence poursuit aux yeux de tous sa route régulière et prévue ; le cœur a sa vie à part et ses révolutions cachées. Parlez tout haut de ce qui intéresse les sociétés humaines, renouvelez l’étude de l’histoire, attaquez les problèmes de l’économie