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politique, soyez un écrivain sérieux, austère, abondant, attentif à tout ce qui peut servir le progrès général : tandis que ces qualités excellentes se déploient sans donner un caractère très vif à votre physionomie, il se peut que le travail intérieur de votre âme, ces éclairs dont vous ne dites rien, ces tours de tête que vous cachez avec scrupule, révèlent un jour chez vous un penseur plein de charme et d’originalité.

On aime beaucoup aujourd’hui ces publications de lettres inédites qui nous font pénétrer familièrement dans les replis d’une âme illustre ou dans les mystères d’une société choisie. À notre riche littérature de mémoires expressément composés par des personnages mêlés au drame public, à cette littérature sans égale qui, de Villehardoin à Chateaubriand, embrasse toutes les périodes de notre histoire et qui s’enrichit encore sous nos yeux, les Anglais, jaloux de notre prééminence sur ce point, ont opposé leur curieuse fabrication de mémoires involontaires et posthumes, pure collection de lettres, de notes, de papers rassemblés après la mort de celui qui les traça, publiés avec ou sans son aveu, et destinés à mettre en lumière tout le détail d’une grande existence. Une fois l’exemple donné, ce fut bientôt une habitude prise. Les deux pays qui, avec l’Angleterre, représentent la vie intellectuelle de l’Europe, n’eurent garde de demeurer en arrière. Ce genre nouveau d’ailleurs répondait si bien à l’esprit de notre âge, ces indiscrétions fournissaient souvent de si vives lumières à la pénétrante curiosité de la critique moderne ! Aussi, depuis un demi-siècle, que de correspondances particulières mises au jour en France et en Allemagne ! On en formerait aisément toute une bibliothèque, bibliothèque assez mélangée, on peut le croire, et qui, attirant les curieux, éloignerait souvent les délicats. Là plus qu’ailleurs se confondent le bien et le mal, le piquant et l’ennuyeux, les témoignages historiques et les insipides bavardages. Là aussi, à côté des révélations permises il y a les indiscrétions coupables. La première loi de toutes ces publications posthumes à notre avis, c’est celle que le bon goût indique aussi bien que la loyauté : ne rien imprimer à la hâte, attendre qu’une génération ait passé, c’est-à-dire, en d’autres termes, éviter le pire des charlatanismes, celui qui fait métier de scandales. L’éditeur n’a plus ensuite que deux questions à se faire. — Les détails que renferment ces lettres jettent-ils quelque jour nouveau sur une époque ? Nous font-elles connaître sur le développement secret d’une âme des détails qui intéressent la philosophie ? Intérêt historique ou intérêt moral, si l’on ne trouve ni l’un ni l’autre dans les papiers que vous avez la fantaisie d’exhumer, gardez-vous de toucher inutilement à la cendre des morts !