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publique : la dette de la France pendant le même temps est triplée en capital et doublée en intérêt. Vers la fin du dernier siècle, les forces productives des deux nations se balançaient : aujourd’hui l’industrie britannique dépasse la nôtre de 90 pour 100 à l’importation, de 44 pour 100 à l’exportation ; elle a cinq fois plus de capital au service de son commerce, et sa marine marchande est cinq fois plus forte que la nôtre. On constate une progression dans le salaire des ouvriers et une tendance à la baisse dans les prix des objets de grande consommation. Pour les classes moyennes ou nécessiteuses, le repos des vieux jours est assuré par des économies cinq fois plus fortes. Il y a plus d’enfans dans les écoles, le respect des institutions nationales est dans les cœurs, comme le sentiment de la stabilité dans les familles. Est-ce là, comme on l’entend dire niaisement, le résultat d’une supériorité de race ou l’effet d’un ressort nouveau, agissant au sein de la population britannique beaucoup plus énergiquement que partout ailleurs ?


II. — OU VA L’EUROPE ?

Que la France se soit notablement enrichie depuis le commencement du siècle, cela est incontestable. En étudiant ce mouvement progressif isolément, ou même en le comparant aux faits accomplis dans les autres pays européens, l’Angleterre exceptée, on arriverait aisément à partager l’optimisme dans lequel s’endort trop souvent notre énergie nationale. D’où vient donc que le rapprochement de notre situation avec celle de l’Angleterre éveille en nous une douloureuse tristesse, car le parallèle n’est pas flatteur pour nous, il faut l’avouer, et je serais surpris qu’il ne suscitât pas dans les âmes françaises un sentiment d’humiliation et d’inquiétude ? — L’explication à donner est bien simple. La France a repoussé avec obstination les lumières de la science économique : jusqu’en 1860, elle a vécu sur les traditions et les pratiques routinières du passé. Elle a progressé néanmoins, elle a fait sortir d’un système faux tout ce qu’il était possible d’en tirer, parce que la nation est ingénieuse et vaillante au travail ; mais l’Angleterre avait pris l’avance : elle s’était mise hors de concours au moyen d’un principe nouveau. Pendant vingt ans, elle a eu pour ainsi dire le monopole du grand moteur, qui est la liberté, et sa situation au sein des nations rivales a été celle des industriels pourvus les premiers de machines à vapeur au milieu de leurs concurrens obstinés à garder leurs vieux manèges.

La synthèse de cette expérience ne s’est pas encore faite dans l’esprit des peuples ; mais les résultats parlent aux yeux, et malgré le superbe dédain que tant de gens professent encore pour les théories,