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on commence à entrevoir que la liberté industrielle pourrait bien être un bon instrument de production, c’est-à-dire d’enrichissement. Or les dépenses publiques augmentent partout, et il y a peu de pays dont les finances ne soient pas embarrassées. La plupart des gouvernemens sont dans la situation de l’industriel qui, ne faisant plus ses frais parce que son outillage.est vieilli, se met en quête d’instrumens et de procédés meilleurs. Depuis quatre ou cinq ans, un mouvement curieux et significatif se dessine. Je ne sais guère de pays où l’on n’ait pas manifesté par quelque décret une tendance à faciliter les transactions ou à simplifier la législation douanière. En Belgique, où l’on considère comme une nécessité de salut public de devancer toujours la France, on ne se contente pas de marcher à grands pas dans la voie du libre échange, on abolit les octrois à l’intérieur. Cavour a laissé au Piémont un projet du même genre, qui sera respecté comme un vœu testamentaire. La Hollande n’a presque plus rien conservé de son système protectioniste ; elle a aboli jusqu’aux privilèges de sa marine et de ses pêcheries nationales. L’Allemagne, malgré la tyrannie de ses coutumes historiques, sacrifie ses vieilles corporations industrielles ; on a prononcé leur abolition immédiate ou prochaine en Autriche, en Prusse, en Saxe, à Brème. Comme préparation à une liberté plus complète, la famille germanique introduit en ce moment l’uniformité dans sa législation commerciale, son régime monétaire, son système des poids et mesures. On poursuit en plusieurs pays le rappel des lois contre l’usure. On a compris que l’obstacle à la circulation est un obstacle au travail. À peine la suppression des péages du Sund et de Stade est-elle accomplie, qu’on a pris à tâche d’affranchir l’Elbe, l’Escaut et le Rhin. L’usage des passeports est condamné partout, et déjà l’étranger voyage aussi librement en Belgique, en Italie et en Suède que l’Anglais en France. Dénoués ou brisés, les liens du régime féodal sont mis au rebut, comme un outillage rongé par la rouille. Dans le nord de l’Europe et particulièrement dans les pays Scandinaves, le rachat forcé des terres nobles par le fermier héréditaire est le ressort caché qui donne le branle à la politique. En Russie, le tsar affranchit le travail malgré les périls de l’entreprise, parce qu’un péril plus grand encore est la ruine des finances, l’amoindrissement des forces nationales par défaut de production.

La France ne pouvait pas rester immobile au milieu de cette progression générale. La réforme a d’ailleurs été préparée et limitée chez nous avec une réserve et une condescendance presque timides pour les intérêts qui se prétendaient sacrifiés. Les prohibitionistes ont été avertis six ans avant le traité avec l’Angleterre par des mesurés qui, sans leur porter un préjudice direct, mettaient en échec le principe de leur oligarchie. La lettre impériale du 5 janvier 1860