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concernant seulement la production des biens matériels dont l’homme ne peut se passer, et régi par des lois naturelles et positives comme la physique et l’astronomie. Malgré l’indifférence dédaigneuse de la plupart des hommes d’états surtout en France, ce second ordre de faits est de beaucoup le plus important, car il est matériellement impossible de conserver les bonnes constitutions politiques avec une mauvaise économie, tandis qu’une bonne économie amènera inévitablement des institutions politiques vraiment libérales.

Un grand progrès serait accompli, un motif d’espérance et une garantie de sécurité existeraient pour l’avenir, si tous les esprits étaient imprégnés du principe générateur de l’économie politique ; ce principe, je vais essayer de le formuler :

1° Aucune société humaine, depuis la sauvagerie bestiale jusqu’à l’idéal de la civilisation, ne peut exister sans accomplir une quantité de travaux mesurée sur le développement des besoins. Ce travail collectif, comprenant tous les genres d’activité, depuis le labeur manuel jusqu’à l’exercice des plus hautes facultés de l’esprit, constitue un fait primordial que je caractériserai par cette formule : le phénomène de la production.

2° Le phénomène de la production ne peut être effectué que de deux manières : suivant le principe d’autorité, c’est-à-dire en vertu de conventions accidentelles ou de règlemens prétendus tutélaires, dont l’effet est de substituer la prévoyance du pouvoir à celle de l’individu et de limiter plus ou moins la force productive inhérente à chacun des membres du corps social ; — ou bien le phénomène s’accomplira suivant le principe de liberté, c’est-à-dire en laissant à l’individu la pleine et entière disposition de ses aptitudes, sans autre limite qu’une liberté égale chez autrui.

3° La somme de production dans un pays est proportionnelle au degré de liberté économique : autrement dit, la quantité des choses produites augmente ou diminue selon qu’on se rapproche ou qu’on s’éloigne du principe de liberté. Il est incontestable, en thèse générale, qu’entre deux travailleurs celui qui sera le moins gêné dans l’exercice de ses facultés produira le plus.

Voilà donc, au seuil de l’économie politique, trois axiomes solides et puissamment enchaînés, et, pour peu qu’on y réfléchisse, on verra qu’ils constituent dans leur ensemble une de ces grandes lois naturelles qu’on retrouve au point de départ, de toutes les sciences exactes. Les sciences ne deviennent fécondes que lorsqu’elles sont engendrées et éclairées par quelqu’une de ces évidences resplendissantes. L’utilité spéciale de l’économie politique est de rechercher en quoi et comment la liberté du travail est paralysée : tâche simple en apparence, immense en réalité et presque inépuisable. La