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de ce succès. Elle le mérite encore à un autre titre, comme ayant pu concourir au progrès général du genre auquel elle appartient. De même que celui qui veut étudier l’histoire des arts mécaniques s’attache à examiner comment des machines plus ou moins grossières et compliquées ont produit Successivement des machines construites avec une simplicité plus habile, plus élégante et aussi plus puissante, de même l’étude du mouvement de l’esprit humain en littérature exige qu’on tienne compte non-seulement des chefs-d’œuvre, mais des productions inférieures qui les ont précédés et préparés. Voulût-on considérer le genre romanesque comme le moins élevé des genres littéraires, on ne peut nier que, par sa nature, par la popularité, par la variété des influences morales et sociales qu’il subit ou qu’il exerce, ce genre de composition n’offre sur l’esprit et les goûts d’une époque des données instructives et utiles pour l’appréciation générale de cette époque.

Mais si l’histoire littéraire bien entendue exige qu’on fasse leur part même aux productions romanesques qui, après un succès passager, sont tombées dans un juste oubli, elle exige aussi qu’on se préservé d’une faiblesse assez naturelle à celui qui remet en lumière, des ouvrages qu’on ne lit plus. Il n’est guère d’ouvrage, si médiocre qu’il soit, duquel on ne puisse extraire quelques passages heureux. Quand on part de là pour s’abandonner à une admiration complaisante et tenter des réhabilitations chimériques, quand on glisse sur le mauvais qui abonde dans un livre pour ne s’arrêter qu’aux détails qui peuvent intéresser, on s’expose à compromettre son jugement auprès des lecteurs qui connaissent ce livre, et on a le tort de mystifier ceux qui ne le connaissent pas.

Sans insister davantage sur des idées déjà exprimées ici à l’occasion de l’Astrée, je voudrais essayer, dans la mesure et dans l’esprit que je viens d’indiquer, de tracer un aperçu des principaux caractères et des innovations que nous présente la littérature romanesque en France durant la période qui suit immédiatement la publication de l’ouvrage de d’Urfé, c’est-à-dire sous le règne de Louis XIII, car, bien que les derniers volumes de l’Astrée aient paru à cette même époque, les deux premiers, où se trouvent déterminés tous les caractères distinctifs de l’ouvrage, appartiennent de fait et de physionomie au règne de Henri IV.


I. — LE ROMAN FAMILIAL ET MORAL.

Le premier romancier notable qui se présente à nous après l’élégant gentilhomme du Forez est un respectable prélat qui, parmi les cent quatre-vingt-six ouvrages sortis de sa plume intarissable, a composé plus de cinquante romans. C’est Jean-Pierre Camus, évêque