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ou courtoises dont ce style est rempli, c’était la livrée de l’époque, et ce n’est pas la partie la moins amusante du roman. C’est très sérieusement par exemple, que Gomberville nous dit : « La fortune (je supprime une périphrase de cinq lignes) fut si cruelle à nos amans désespérés que, depuis l’île de Bajazet jusqu’à la vue des côtes du Maroc, elle ne voulut pas même les obliger de quelque apparence de tempête. Polexandre, offensé d’une si fatale gratification, faisait continuellement des vœux contre le calme et contre sa vie. » Il va sans dire que Zelmatide, également séparé de sa belle, demande aussi à la fortune de l’obliger d’une tempête. Ce prince péruvien, qui par parenthèse a été allaité par une tigresse, est si courtois qu’il dit à Polexandre : « Je vous donnerais ma vie, si je me croyais digne de l’honneur que je recevrais en la perdant pour vous, » et Polexandre, aussi courtois, quoique moins subtil, lui répond : « J’exposerai toujours la mienne pour la conservation de la vôtre. »

Laharpe a beau jeu pour se moquer de la conclusion du Polexandre, mais il en abuse, et il transpose les scènes pour les rendre plus ridicules. Lorsque Polexandre, après cinq gros volumes d’exploits sur terre et sur mer, de perquisitions dans toutes les contrées du globe, et de lamentations, est enfin parvenu à retrouver l’île inaccessible, à conquérir l’amour d’Alcidiane et à obtenir sa main, Laharpe prétend « qu’il ne peut croire à son bonheur, que la tête lui en tourne, et que lorsqu’il doit monter dans l’appartement de sa femme, il faut que deux écuyers soutiennent ce héros dans l’escalier ; il est prêt, ajoute le critique, à tomber à chaque marche, et le roman est fini que l’on n’est pas encore bien assuré de sa vie. » Le tableau est joli, mais il est faux. Ce n’est pas au moment de la conclusion de son mariage que l’invincible Polexandre tremble ainsi dans l’escalier de la reine Alcidiane, c’est lorsqu’il ignore encore non-seulement si elle consentira à l’accepter volontairement pour époux, mais si elle lui pardonnera d’avoir (pour obéir à un oracle dont l’intervention très fastidieuse ne vaut pas la peine d’être expliquée) été obligé de se faire passer pour un esclave destiné à l’épouser malgré elle : c’est alors seulement que l’invincible Polexandre tremble ainsi que tremblaient Lancelot du Lac, Tristan du Leonois ou Amadis, quand ils craignaient d’avoir offensé leurs dames ; mais comme nous ne sommes plus tout à fait au moyen âge,