Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/751

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce ne sont pas deux écuyers qui soutiennent le héros tremblant, c’est une confidente de la reine, la malicieuse Amynthe, qui l’exhorte à se rassurer en se moquant de lui, tandis que Polexandre lui dit d’un ton lamentable : « Ah ! madame, il n’est pas ici question de railler. » La situation est grave en effet ; mais aussitôt que Polexandre a reçu son pardon, tout change, et lorsque le lendemain, après la cérémonie du mariage, il revient dans ce même palais avec Alcidiane, rien n’autorise Laharpe à prêter à ce héros des sentimens de pusillanimité indignes de lui. Tout nous rassure au contraire sur son compte, car l’auteur, après avoir conduit en pompe les deux époux jusqu’à la porte de la chambre nuptiale, et après nous avoir montré tous les courtisans qui se retirent, termine galamment son livre en nous disant : « Imitons des personnes qui savent si bien leur cour, n’allons point frapper effrontément à des portes qui sont sacrées. Contentons-nous dg savoir que Polexandre et Alcidiane sont ensemble, et puisque nous les avons si longtemps possédés, ayons assez de justice pour trouver bon qu’ils se possèdent eux-mêmes. » Il ne se peut rien dire en effet de plus judicieux, et nous profiterons nous-même de cet avis de Gomberville pour faire ici notre révérence à l’invincible Polexandre et à l’incomparable Alcidiane.

Le tableau des principales variétés du genre romanesque sous Louis XIII ne serait pas complet, si nous ne parlions encore d’un autre roman publié en 1621, dédié à Louis XIII, et dont la destinée est plus singulière que celle du Poleaxandre, plus singulière peut-être que celle de tous les romans, car celui-ci a eu un succès éclatant et prolongé ; quoiqu’il fût écrit en latin, il s’en est fait, dans le courant du XVIIe siècle, plus de dix éditions. Dès qu’il a paru, il a été traduit en français par cinq ou six auteurs différens, par Du Ryer, par Marcassus, par l’évêque Coeffeteau et par plusieurs autres ; il a été traduit en 1625 en anglais et en italien, en 1626 en espagnol et en allemand. Bayle nous apprend même qu’il fut traduit en flamand. Au XVIIIe siècle, il trouvait encore de nouveaux traducteurs français. L’abbé Josse, Sans la préface de sa traduction publiée en 1732, exprimait pour ce roman la plus vive admiration ; il comparait l’auteur à Tacite, il rappelait que le cardinal de Richelieu avait sans cesse ce livre entre les mains ; il ajoutait : « Il a mis en pratique, pour la gloire et pour l’avantage de la France, plusieurs des maximes dont cet ouvrage est rempli ; » enfin, quelques années avant la révolution française, en 1776, il se rencontrait encore un admirateur passionné de ce roman, M. Savin, « avocat à Bordeaux, qui le traduisait de nouveau en français.

Or cet ouvrage si fameux et si longtemps admiré est aujourd’hui si complètement oublié, qu’on peut affirmer, je crois, sans témérité,