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quelques années. De là l’expédition actuelle dont l’objet immédiat et ostensible, précisé par la France, l’Angleterre et l’Espagne dans le traité du 31 octobre, est « d’exiger une protection plus efficace pour les personnes et les propriétés de leurs sujets, ainsi que l’exécution des obligations contractées envers elles par la république du Mexique. » C’est pour atteindre ce but on ne peut plus légitime que des forces de terre et de mer sont aujourd’hui dans le golfe du Mexique et que le drapeau de l’Espagne flotte sur la Vera-Cruz en attendant que le drapeau de la France flotte à son tour sur ses côtes.

Certes la nécessité d’une intervention décisive est évidente ; elle ressort de la situation même faite dans ces contrées à tout ce qui est européen. Seulement ici s’élève cette question que nous posions : Quelle est la politique, quel est le mode d’action possible pour l’Europe ? Quelle est la limite de cette expédition que nous faisons en commun avec l’Angleterre et l’Espagne ? Ici, il faut bien le dire, surgissent les difficultés de toute sorte. Peut-on se borner à atteindre le Mexique par ses points extrêmes, à occuper temporairement ses ports, à lui imposer des réparations éclatantes, pour se retirer ensuite ? On ne peut se dissimuler que ce système, bien des fois essayé, ne conduirait pas à un résultat bien décisif et surtout bien durable. Ces déplorables états sont trop accoutumés à céder à la force, et quand on se retire, ils renouent la chaîne de leurs exactions et de leurs violences. On le sent si bien, cette décevante expérience a été faite si souvent, que le commerce, par l’organe de sa chambre syndicale, a été le premier à demander au gouvernement français de donner à l’expédition actuelle une portée plus sérieuse, ou de ne point l’entreprendre, parce qu’une répression sommaire, dépourvue de toute autre sanction, ne ferait qu’empirer la situation des étrangers au Mexique. Mais ici s’élève une autre difficulté : si on ne se borne pas à occuper des ports, à ramener un peu vigoureusement à la raison le gouvernement mexicain, faut-il donc se laisser attirer dans l’intérieur du pays, s’aventurer dans une guerre sans gloire à coup sûr, et peut-être sans issue ? Une marche sur Mexico, puisqu’on la prévoit, c’est déjà bien assez. Les États-Unis, il est vrai, n’ont pas craint de faire la guerre au Mexique il y a quinze ans, et de parcourir le pays dans tous les sens ; mais les États-Unis savaient ce qu’ils faisaient ; ils avaient d’avance choisi leur butin dans d’opulens territoires, et, quant à l’anarchie intérieure qu’ils laissaient derrière eux, ils ne s’en souciaient guère. Il n’en est pas ainsi pour l’Europe, qui ne peut vouloir démembrer le Mexique, et qui n’a d’autre intérêt que de laisser en se retirant une suffisante garantie à tous les étrangers. Sans doute la présence seule de nos forces à Mexico peut amener les habitans de ce pays à une démonstration en faveur d’un régime plus stable, plus régulier, qui puisse assurer une vraie protection aux intérêts européens. Les Mexicains peuvent être conduits à désirer la fondation d’un trône pour lequel le candidat n’est plus même à trouver, depuis