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parmi les vieillards, voilà, sans parler des désagrémens de la cloaca massima (le mot est d’Alfieri, et Mme d’Albany, qui nous aimait peu, n’oublie pas de le souiller à Sismondi), voilà, dis-je, ce qui a tout d’abord frappé le grave enfant de Genève. Peu à peu cependant il va subir le charme, et, l’aurait-on cru d’un si sévère penseur ? ce seront les femmes qui pour lui deviendront les magiciennes. Quelques semaines ont suffi pour le convertir. Quelle variété dans les conversations de ces brillans cénacles ! que d’idées neuves et vives ! comme la pensée y maintient ses droits, y poursuit son chemin, même sous une forme frivole en apparence et malgré le joug du despotisme ! Le contraste que je signale ici, d’un mois à l’autre, dans la correspondance de Sismondi, devient plus saisissant encore, si l’on songe aux préoccupations qui dominaient alors tous les esprits. Au moment où il est initié aux secrets du monde parisien, une lutte gigantesque tient l’Europe en suspens. Il n’est pas certes indifférent aux émotions publiques, puisque je trouve ces mots dans sa première lettre datée de Paris : « Quelle époque que celle-ci ! quels événemens par de la toute croyance ! quel avenir inexplicable ! » Et cependant la grande question pour lui, à en juger par ses lettres, c’est l’opinion qu’il doit se faire de la société française, séduisante et périlleuse énigme, problème qui l’attire et qui le trouble. Il cède enfin, il est pris, le charme a triomphé. À l’heure où commencent les terribles batailles qui préludent aux journées de Dresde et de Leipzig, Sismondi esquisse en souriant ces gracieux portraits de femmes.


« Je serai bien heureux de parler avec vous de Paris. Vous vous en êtes séparée sans regrets, parce qu’à présent vous préférez à tout le repos et le calme, mais vous avez toujours cette vivacité de curiosité, apanage nécessaire d’un esprit actif et étendu. Je vous rendrai compte le mieux que je saurai des gens de lettres. À présent il n’y en a plus aucun, de ceux qui peuvent inspirer une curiosité vive, que je ne connaisse, au moins légèrement ; mais, je crois vous l’avoir dit, aucune société d’hommes n’est égale pour moi à la société des femmes : c’est celle-là que je recherche avec ardeur, et qui me fait trouver Paris si agréable. Ce mélange parfait du meilleur ton, de la plus pure élégance dans les manières, avec une instruction variée, la vivacité des impressions, la délicatesse des sentimens, tout cela n’appartient qu’à votre sexe et ne se trouve au suprême degré que dans la meilleure société de France. Tout excite l’intérêt, tout éveille la curiosité, la conversation est toujours variée, et cependant ces égards constans qu’inspire la différence des sexes empêchent le choc des amours-propres opposés, contiennent les prétentions déplacées, et donnent un liant, une douceur à ces idées neuves et profondes, qu’on est étonné de voir manier avec tant de facilité. J’avais commencé par être introduit ici dans le faubourg Saint-Honoré, et j’avais déjà trouvé beaucoup d’agrément dans la société de Mmes de Pastoret, Rémusat, Vintimiglie et Jaucourt, mais depuis je me suis