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compagnies, parce que, dans la nouvelle organisation, le pouvoir judiciaire ne devait entraver la marche d’aucun autre pouvoir, mais non sans rendre hommage à leur fermeté, à la guerre souvent héroïque qu’elles avaient livrée au despotisme. Elle les abattit d’un seul coup en supprimant la vénalité des charges. Cependant, dans ces charges et dans cette vénalité même, la magistrature avait trouvé l’indépendance. Où la puiserait-elle désormais ? L’assemblée comprit que la magistrature était perdue, si elle relevait d’une autorité qui pût la comprimer ou la séduire par des faveurs même indirectes. Or elle avait trouvé la source du pouvoir judiciaire non dans l’état, mais dans la nation : pourquoi la nation ne veillerait-elle pas au choix de la magistrature ? Avec le mandat populaire, quelle influence serait à craindre ? En principe, c’était donc aux électeurs de choisir les magistrats, leurs délégués. Les juges furent soumis à l’élection dans le ressort de chaque tribunal, et la durée de leurs fonctions fixée à six ans. Seul, le ministère public restait à la nomination du chef de l’état. Pourquoi cette différence, a-t-on objecté, dans le choix des magistrats ? Le ministère public et les juges n’appartenaient-ils pas au même ordre, à la même institution ? On n’a pas observé que, sous la constitution judiciaire de cette époque, le ministère public ou commissaire du roi, n’ayant ni le droit d’accusation ni le droit de poursuite, uniquement chargé de faire appliquer la loi, était un véritable « agent du pouvoir exécutif, » ainsi que le déclarait très nettement le décret du 16 août 1790, et qu’il était dès lors naturel de confier sa nomination à ce pouvoir, Auprès de chaque tribunal criminel, un accusateur public, nommé cette fois par les électeurs, était spécialement chargé des poursuites lorsque l’accusation avait été admise par les premiers jurés. On distinguait ainsi le droit d’accusation, qui était à Athènes et à Rome une action populaire, des actes du pouvoir exécutif, qui doivent se renfermer dans la sphère propre à l’exécution de la loi.

Depuis, ces deux fonctions ont été réunies, et le ministère public est à la nomination du gouvernement. Est-il devenu par-là un agent du pouvoir exécutif ? Pour résoudre la question, il sera toujours nécessaire de remonter à la double origine des fonctions du ministère public, et de distinguer celles qu’il exerce comme accusateur ou comme préposé à l’exécution des lois. Qu’importe si, magistrat amovible, il peut être brisé par le gouvernement dont il tient sa nomination ! Le mandat qu’il a reçu ne lui vient pas moins de deux sources différentes. Il est certain qu’il ne tient pas le droit d’accusation du gouvernement : comment celui-ci déléguerait-il un droit dont il ne jouit pas ? La cour de cassation a proclamé l’indépendance du ministère public dans cette partie de ses fonctions. On demandait quelle était la valeur des ordres donnés à un procureur-général