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la monarchie absolue ? Qu’importe par quel tribunal, royal ou féodal, seront jugées les causes civiles et criminelles ? La justice encore une fois ne peut avoir deux origines : elle émane dans toutes ses parties du droit municipal des peuples réunis, ou bien elle appartient pour le tout à une autorité supérieure indépendante, spéciale, placée au-dessus des peuples. La tradition sémitique ou musulmane a placé la justice dans la religion, mais la tradition historique la place dans la société. Entre ces deux systèmes, qui n’admettent pas de transaction, le choix de l’assemblée constituante fut bientôt fait ; elle tint pour les droits imprescriptibles de la société et en fit la base de la nouvelle organisation judiciaire. Sa conception se traduit par un fait saillant dans nos codes. Un principe domine toutes les juridictions, c’est qu’aucune n’est dépositaire d’une autorité unique et souveraine ; au-dessus des premiers juges, dans toutes les sphères, est le contrôle ou droit d’appel. Seul, le jury prononce en dernier ressort, et son verdict est suprême[1]. Est-ce là une dérogation à la règle commune ? Non, l’exception est du côté des tribunaux. C’est que le jury, quand il prononce, agit dans la plénitude de ses pouvoirs ; il exerce le droit souverain et direct de la société, au-dessus duquel aucun autre droit n’existe. « Des jurés, disait Duport à ce sujet, ne sont pas, à proprement parler, un pouvoir constitué ; ils sont le peuple lui-même, au-delà duquel il n’existe aucune puissance. On ne peut donc pas appeler du jugement des jurés. »

Nous ne saurions suivre pas à pas l’institution du jury sous les divers gouvernemens sans sortir du cadre de cette étude, bien que cela ne dût point être sans profit. Ne voulant nous arrêter qu’aux grandes lignes, nous nous bornerons à enregistrer ici quelques pages de l’histoire de sa fortune et de ses revers. Le jury sorti des mains de l’assemblée constituante fonctionna selon la grande pensée d’humanité qui l’avait fait admettre, et releva bientôt la justice criminelle du discrédit où elle était tombée avant la révolution. Il arriva un moment toutefois où son action devint insuffisante, mais en présence de quels faits ? Vers la fin du directoire, des bandes de pillards avaient infesté certaines contrées ; c’étaient des voleurs de grands chemins, des chauffeurs appartenant à des troupes licenciées ou à l’écume des révolutions qu’on venait de traverser. Partout ils avaient répandu l’épouvante, et l’imagination terrifiée des populations leur attribuait une redoutable puissance. À ce grand mal il fallait un remède prompt, énergique : il fut créé des tribunaux spéciaux, espèces de cours prévôtales composées pour moitié de militaires, et en peu de temps toutes ces bandes furent dissipées, anéanties. C’était la défense de la société par les armes de la guerre et non par celles de la justice

  1. Code d’instruction criminelle, article 350.