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Sismondi, est comme un frère de Silvio Pellico, de Maroncelli, d’Oroboni, de Gonfalonieri, de l’abbé Louis de Brème, de toutes ces pieuses victimes, de tous ces héros admirables dont le catholicisme italien a fait don à la cause de l’indépendance italienne. Il y a une lettre de lui où son émotion éclate avec une singulière vigueur. Admiration, respect, amour, en même temps regret de ne pouvoir se réunir par la foi aux hommes dont la foi le ravit, voilà les sentimens qui remplissent son cœur et y renouvellent l’exécration de la tyrannie. Citons cette lettre tout entière ; elle est datée du village de Chêne, 20 février 1833.


« Je ne voulais pas vous répondre, ma chère Eulalie, avant d’avoir réussi à me procurer ce mémoire de Silvio Pellico dont Mme de Broglie d’abord, et ensuite vous, m’aviez parlé avec tant d’admiration et d’attendrissement. Je l’ai enfin reçu il y a deux jours, je l’ai achevé ce matin, et j’en suis encore si ébranlé que ma pensée ne peut pas s’attacher à autre chose, que tout travail m’est impossible, que dans la nuit je me réveillais sans cesse avec son nom sur mes lèvres, et je repassais avec horreur comme avec enthousiasme ces dix années de triomphe d’une belle âme sur la perversité humaine. Je vous ai souvent parlé de la beauté du vrai caractère italien, de l’amour qu’il était fait pour exciter ; je suis bien aise que celui de Pellico se soit ainsi révélé tout entier à vous avec cette tendresse qui se reflète sur tous les objets, cette simplicité, cette naïveté qu’on ne trouve qu’en Italie. Je suis bien aise que vous ayez vu, non pas un mais plusieurs de ces caractères angéliques, qu’on doit aimer avec passion quand on les connaît, car Oroboni et Maroncelli ont des âmes comme celle de Pellico, et Maroncelli est à Paris, se traînant sur des béquilles avec une santé ruinée, pauvre et obligé de travailler pour vivre. Je l’y ai vu il y a onze mois, et je sens un profond remords de ne l’avoir pas mieux vu, de ne l’avoir pas écouté, consolé, aimé ; il me semble que j’ai été auprès d’un saint qui rayonnait la bonté et le pardon des offenses sur moi, et que je n’en ai pas profité, que j’ai fermé mon âme à cette douce communication. Nous ne sommes pas de même religion, eux et moi ; je ne veux pas dire seulement qu’ils sont catholiques et moi protestant, je veux dire qu’ils sont de la religion des poètes, des cœurs brûlant d’amour et d’enthousiasme, des imaginations puissantes, qui, se créant un Dieu à leur image, le rapprochent d’eux et en font leur ami et leur consolateur habituel : je suis de la religion des logiciens, plus froids, plus raisonneurs ; je m’élève à Dieu par cet univers qu’il a créé, par les lois générales qui le régissent. La sagesse et la bonté sont ceux de ses attributs qui me frappent le plus, mais, sans anthropomorphisme, sans faire son intelligence plus que son corps à l’image de l’homme, sans lui attribuer par conséquent de la tendresse à mon égard, au lieu de la bienfaisance universelle. Ces deux religions ne peuvent pas controverser l’une avec l’autre, elles tiennent à deux organisations différentes. Je ne puis pas plus croire et aimer à la manière de Pellico que je ne puis être poète comme lui ; mais en pensant aux souffrances qu’il a éprouvées, je sens du