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mauvaise, on laissera passer la mauvaise plutôt que de repousser les neuf bonnes. Le premier écueil à éviter sera l’introduction dans le budget ordinaire de dépenses dont le caractère obligatoire pourrait être contesté. Une fois l’habitude prise, le risque serait grand de voir ces dépenses acceptées sans discussion. Le propre d’un budget ordinaire bien préparé est de ne comprendre que les sommes nécessaires à la bonne administration des affaires publiques, à l’entretien des travaux exécutés et à la défense du territoire, laissant au budget extraordinaire le soin de pourvoir aux travaux neufs et aux armemens motivés par des circonstances exceptionnelles.

Ici s’arrêterait l’examen de la partie du programme qui a trait à la législation financière proprement dite, s’il ne convenait, ce me semble, d’y faire entrer la conversion facultative de la rente 4 1/2 pour 100, mesure dont les effets s’étendront sur l’avenir plus encore qu’ils ne se feront sentir sur le présent. Dans cet ordre d’idées, il faut encore donner le pas à la dette flottante sur la conversion, car c’est le désir de diminuer le chiffre de la dette flottante qui a certainement amené le projet de conversion. Ce projet, qui prête tant à la critique, ne trouverait pas ailleurs de justification possible.

La dette flottante est de 963 millions. Ce chiffre était vrai sans doute lorsqu’on l’a écrit ; il ne l’est déjà plus aujourd’hui. Tous les jours se font d’énormes dépenses pour lesquelles aucunes ressources n’ont pu être prévues ni préparées. À l’expédition de Cochinchine vient s’ajouter celle du Mexique. Les conventions faites entre les puissances alliées pour les frais de cette dernière expédition ne sont pas connues ; mais jusqu’ici, et sauf règlement ultérieur, c’est nous qui en supportons la plus lourde part. Des réparations nous étaient dues et paraissent nous avoir été refusées : notre gouvernement a raison de les exiger ; mais les moyens sont coûteux. Les échanges de la France avec le Mexique, importations et exportations réunies, n’atteignent pas annuellement 20 millions. Il faudra bien du temps avant que nous ayons trouvé dans les bénéfices d’un commerce si restreint la compensation de nos sacrifices[1].

  1. Le but définitif de l’expédition n’a pas été déclaré ; mais si les bruits répandus à cet égard sont vrais, ce but serait en flagrante contradiction avec le principe de non-intervention que chaque gouvernement proclame à l’envi quand il le trouve conforme à sa politique. Je possède une lettre écrite en 1831 par le prince de Talleyrand, alors ambassadeur à Londres, et j’en détache, sur le principe de non-intervention, quelques lignes qui ne sont pas en dehors du sujet. « Ce principe, dit-il, fort commode en lui-même et fort approprié à telle circonstance, n’est plus qu’une absurdité quand on le regarde comme absolu, quand on veut l’étendre sur les points les plus éloignés les uns des autres. Ce principe est un moyen pour l’esprit ; c’est à lui d’appliquer ou d’écarter ce nouvel instrument, qui n’est le plus souvent qu’un expédient pour ne pas agir. »