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roulades et pour un roi? » Il y eut entre Caffarelli et l’Astrua une de ces rivalités de talent qui sont si fréquentes dans la vie des virtuoses célèbres. Cette rivalité, dont parle le docteur Burney dans une note du quatrième volume de son Histoire de la Musique, donna lieu à des épisodes curieux.

Caffarelli est venu en France. Il a chanté à la cour de Louis XV et pour l’amusement particulier de la seconde dauphine, princesse de Saxe, qui avait un grand goût pour la musique italienne; mais en quelle année Caffarelli a-t-il franchi les Alpes et fait son apparition à Versailles? M. Fétis donne la date de 1750, tandis que le docteur Burney assure que Caffarelli fut envoyé à Paris et à la cour en 1753 par le maréchal de Richelieu, qui était alors ambassadeur de France à Naples. Duclos, dans son Voyage en Italie, parle de Caffarelli. « La manière, dit-il, dont on traite ces castrats doit leur tourner la tête. La seconde dauphine ayant du goût pour la musique italienne, on fit venir en France et à Versailles Caffarelli. Pendant son séjour, on lui entretenait un carrosse et une table de six couverts, traitement pareil à celui du confesseur du roi. Il ne chanta qu’une fois en public : ce fut dans un oratorio, devant l’Académie française, dans la chapelle du Louvre. On lui donna pour paiement une bourse de cent jetons. Sa fatuité en fait de bonnes fortunes était chose curieuse. On ne pouvait s’empêcher de rire du contraste de ses prétentions avec son état,... qui pourtant n’était pas dédaigné par toutes les femmes. »

On raconte aussi que Louis XV, qui avait la voix la plus fausse de son royaume, à en croire Rousseau, fut si charmé du talent de Caffarelli qu’il lui envoya, par un gentilhomme de sa chambre, un présent. Le gentilhomme crut remplir la volonté de son maître en faisant remettre par son secrétaire au virtuose une boite en or. « Quoi, monsieur! aurait dit le sopraniste étonné, voilà ce que le roi me donne? Tenez, ajouta-t-il en ouvrant un meuble, voici trente boîtes dont la moindre a plus de valeur que celle que vous êtes chargé de me remettre. Si le portrait du monarque s’y trouvait au moins! — Monsieur, répliqua le secrétaire, sa majesté ne donne son portrait qu’aux ambassadeurs. — C’est possible, répliqua le chanteur; mais avec tous les ambassadeurs du monde on ne ferait pas un Caffarelli. » Cette réplique ayant été rapportée à Louis XV, le roi s’en amusa beaucoup. La dauphine au contraire, blessée de l’impertinence du virtuose, le fit venir, et lui remit un diamant de prix avec un passeport en disant : « Il est signé du roi, et c’est un grand honneur pour vous. Servez-vous-en tout de suite, car il n’est valable que pour deux jours. » Caffarelli aurait quitté brusquement la France, fort peu content de l’accueil qu’il y aurait reçu. Je n’ai pu trouver dans les journaux du temps aucune trace du passage de Caffarelli à Paris. Cependant un voyageur français, Coyer, qui était à Naples en 176, parle de Caffarelli, qu’il entendit dans la Didone abbandonata de Jomelli, dans les termes que voici : « Caffarelli, qui vous a fait tant de plaisir à Paris, tâchait d’y soutenir sa gloire. » Le grand tragédien anglais Garrick,