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actes, pour donner une idée du labeur de ce maître, qui était en même temps un écrivain disert, sachant toucher à plus d’un sujet, ainsi qu’il l’a prouvé comme secrétaire de l’Académie des Beaux-Arts. Caractère honorable et plein d’aménité, très sensible à la critique, M. Halévy ne s’est cependant jamais beaucoup préoccupé d’en atténuer les vivacités. Lui-même était d’une extrême bienveillance pour ses confrères que le sort traitait plus favorablement. Ce n’est pas le moment de porter un jugement définitif sur les travaux de ce maître distingué, dont les ouvrages font partie du répertoire courant des trois théâtres lyriques de Paris; nous n’avons voulu aujourd’hui que fixer quelques dates et dire un simple mot sur l’auteur de la Juive, si prématurément enlevé à l’art, qu’il a beaucoup aimé et beau- coup servi.


P. SCUDO.


Œuvres d’Adam Miçkiewicz, édition complète (en polonais)[1].

Le nom de Miçkiewicz est un de ceux qui réveillent les plus grands souvenirs de la poésie moderne; il n’est plus seulement polonais, il est devenu européen; il a été mis dans cette Revue même, il y a déjà plus de vingt ans, à côté de ceux de Goethe et de Byron. C’est qu’en effet l’auteur des Pèlerins, des Aïeux, du Sieur Thaddée, sans cesser d’être profondément national par son génie, s’est élevé à ce degré où l’inspiration prend en quelque sorte un caractère universel. Miçkiewicz était un représentant assez illustre de l’art européen, un esprit assez éminent pour qu’en 1840 M. Cousin, dans son passage au ministère de l’instruction publique, créât pour lui au Collège de France une chaire de langue et de littérature slaves. Après sa mort, l’empereur Alexandre II, montant sur le trône, avait eu la libérale idée d’autoriser la publication de ses œuvres en Pologne même, au profit de ses enfans. Il arrive souvent par malheur que le tsar propose et que la censure dispose. La censure disposa si bien des œuvres de Miçkiewicz qu’elle les défigura, supprimant des pages entières, faisant disparaître toute une partie des Aïeux, opérant des changemens. C’est justement pour rétablir la pensée du poète dans son intégrité que paraît en France aujourd’hui une édition vraie et complète avec un beau et frappant portrait gravé sous la direction de M. Henriquel-Dupont. Cette édition a été faite avec une scrupuleuse attention. Outre tout ce qui avait déjà vu le jour du vivant de l’auteur, elle contient des fragmens inédits, notamment une nouvelle partie des Aïeux écrite à Kowno dans la jeunesse du poète. Là aussi se retrouve tout ce qu’on a pu réunir des lettres de Miçkiewicz, qui n’avait guère la passion épistolaire. Telle qu’elle est, cette correspondance ne jette pas moins de vives lumières sur l’existence de l’auteur des Pèlerins, particulièrement pendant son exil à Moscou. Les lettres à sa femme, au poète Garczinski, révèlent parfois des détails touchans de cette vie éprouvée. Une de ces lettres ne laisse point d’être curieuse et se lie d’une façon étrange à notre histoire; elle a trait au cours que Miçkiewicz pro-

  1. 11 vol. in-8o, Paris 1861, chez Martinet.