soleil descendait derrière nous dans la mer. La colline Caire, avec son bois de pins et de liéges noirâtres, servait de repoussoir à cette illumination chatoyante.
L’idée me vint naturellement qu’à ce moment même la marquise consultait le temps pour sa promenade du lendemain, en regardant si le sommet du Coudon était clair, et comme j’étais dans des flots de lumière pure, si par hasard elle se servait de la longue vue, elle pouvait distinguer un imperceptible point noir sur les masses blanches de la cime. Je me trompais, la distance est trop grande, et, malgré d’excellens yeux, je ne discernais pas même la microscopique colline de Tamaris au bord de la mer. Il est vrai qu’elle était noyée dans l’ombre du cap Sicier. Je me servis de la lunette portative que je m’étais procurée, et je crus reconnaître la bastide comme un point pâle dans la verdure des pins ; cela était flottant comme un rêve, et toute ma tristesse revint. Je me répétais ce sot et amer proverbe : « Loin des yeux, loin du cœur ! » Cela pouvait être vrai pour elle ; pour moi, cet éloignement, cette impossibilité de communiquer avec elle à travers l’espace irritaient ma douleur.
Comme la nuit approchait et que la lune était déjà levée, je résolus d’attendre qu’elle fût assez haut sur l’horizon pour m’éclairer un peu. L’air devenait très froid. Je descendis de la dernière cime et me mis à l’abri du vent au bord du précipice, dont la brisure est admirable. Au bout d’un quart d’heure, je me levais pour partir, lorsque je me vis reflété par une lueur étrange et tout à fait mystérieuse. Je remontai à la cime et vis mon vieux sorcier livré à une conjuration capitale. Il avait allumé un feu d’herbes sèches sur l’extrême pointe du rocher, et à mesure que la cendre se formait, il en ramassait le plus fin dans un sachet de toile. Il avait coupé du thym, du romarin et de la santoline, dont il avait fait trois paquets séparés. Il prenait dans chaque paquet pour obtenir la cendre des trois plantes brûlées ensemble. Après cette opération, accompagnée de gestes et de paroles que j’observais avec curiosité, il fit trois bottes des mêmes plantes fraîches qu’il lia de cordons noirs, jaunes et rouges : il chargea le tout sur ses épaules et s’éloigna rapidement sans paraître m’avoir vu, bien que je fusse très près de lui.
Cet homme avait une tête caractérisée. En se livrant à son acte cabalistique, il avait ôté le haillon qui lui servait de bonnet. Quelques mèches de cheveux encore noirs voltigeaient sur son crâne dégarni, très élevé et très étroit. Sa figure pâle, maculée d’un noir de charbon indélébile, était assez régulière et assez distinguée. Ses yeux saillans et brillans avaient une expression de terreur, comme s’il eût craint sérieusement de voir apparaître les esprits évoqués, ou comme s’il eût cru les voir en effet. Il n’était vêtu que d’une chemise et d’un pantalon de toile dont le ton sale et blafard lui